Au Bénin, la lutte contre les grossesses précoces en milieu scolaire peine à porter ses fruits. En dépit des efforts des Organisations de la Société civile, du gouvernement et des Institutions internationales, il existe toujours des porches de résistance face à ce phénomène contre l’éducation des filles. Les statistiques entre 2013-2019 donnent le tournis et les témoignages sont saisissants.
«Je suis tombée enceinte par ignorance en classe de cinquième », regrette Christine D., ancienne élève du Collège d’enseignement général (Ceg) Godomey. Contrainte d’abandonner les classes à cause de cette grossesse précoce, elle est actuellement apprentie couturière. Elle confesse avoir perdu sa virginité au cours de cet acte sexuel qui a occasionné cette grossesse prématurée. Comme elle, des centaines d’élèves filles sont déscolarisés chaque année pour la même cause. Selon les chiffres de la direction générale de l’Institut national d’ingénierie de formation et de renforcement des capacités des formateurs, structure sous la tutelle du ministère chargé de l’enseignement secondaire, au total 8554 cas de grossesses ont été enregistrés entre 2013 et 2019, soit une moyenne annuelle de près de 1500 cas en milieu scolaire au Bénin. Ainsi, le taux de grossesses a connu une croissance en passant de 1485 cas de grossesse de 2013-2016 à 7069 cas de 2016 à 2019. Ces statistiques annuelles montrent l’ampleur de ce phénomène qui bloque le cursus scolaire de beaucoup de filles. Selon Dr François Kampoundun, Représentant adjoint de l’Unicef au Bénin fortement sur la réalisation des droits des filles ainsi que l’avenir des filles-mères. Pour lui, le manque d’informations sur les conséquences de ces comportements sexuels à risque, le gain facile, l’absence de repères et le suivisme en sont les raisons premières. A l’en croire, l’utilisation abusive des technologies numériques notamment des réseaux sociaux, des informations partagées par divers programmes audiovisuels, la pauvreté, la démission de certains parents, l’absence de dialogues parents-enfants et la qualité de construction de la vie en communauté sont aussi les causes du mal.
Christelle Maillard Assogba, présidente de l’Association l’éducation, la sexualité et la santé en Afrique estime que le phénomène n’est pas nouveau quand bien même il s’est accru ces dernières années avec la scolarisation massive des filles dans le cadre des campagnes « toutes les filles à l’école ». Tout comme celle-ci, Sévérine Nadège Hondo, Inspectrice d’action sanitaire, spécialiste des soins infirmier, conseillère en santé de reproduction des adolescents et jeunes au Centre Jeunes Amour et vie du Cps Suru Léré Akpakpa à Cotonou, pense que de nos jours, les adolescents ont une sexualité précoce avec un environnement où l’accès à l’information est difficile sur une problématique considérée comme tabou.
Des filles exposées aux jeux sexuels
Le psychologue clinicien Fidèle Hadihoundé, spécialiste des questions de la famille et du couple évoque la stabilité relationnelle de la famille comme cause de ce fléau. Selon lui, la dislocation brutale des familles, souvent dans le cas des élèves issues des parents divorcés ou décédés. « Les jeux sexuels auxquels ils se livrent durant ces moments les exposent aux grossesses précoces », poursuit-il. C’est le cas de Béatrice H., 16 ans, en classe de 4è et mère d’un bébé de 5 mois. Elle soutient que c’est après la séparation de ses parents qu’elle est tombée enceinte à cause de la morosité économique. « Mes parents ne sont plus ensemble. Je suis avec mon papa, un vulcanisateur à Akpakpa-place Lénine. Il ne reste souvent pas à la maison. J’en profite pour mes loisirs. Faute de moyens pour subvenir à mes besoins, je sollicite l’aide des ami(e)s. C’est très compliqué. C’est dans cette condition que j’ai dû laisser l’école au début de l’année scolaire 2018-2019, quand j’étais tombée enceinte », témoigne-t-elle avec tristesse.
Selon le président de la Fédération nationale des parents d’élèves et d’étudiants du Bénin (Fenapeb), Epiphane Azon, la pauvreté et la démission de certains parents favorisent le phénomène. M. Rémi Affognon et Mme Solange Gbossou Djomatin, parents d’élèves tous à Fidjrossè-Cotonou, pensent plutôt que la faute revient en grande partie à ces filles, qui refusent les conseils de leurs géniteurs. « Moi, je conseille et discute avec ma fille. Dieu merci, pour le moment, je rends grâce. Mais ailleurs, des filles n’écoutent jamais leurs parents, quelle que soit la méthode. C’est face aux réalités et conséquences de leurs actes qu’elles s’en rendent compte », déplore, Mme Gbossou Djomatin, mère d’une fille de 15 ans en 3è au collège les Pyramides à Godomey.
Faible application des sanctions
Dr François Kampoundun, évoque également la déficience du système de protection de l’enfant et la faible application des sanctions ; l’insuffisance ou l’inexistence des services de soutien et d’orientation aux enfants sur la santé sexuelle et de la reproduction en milieu scolaire ; l’insuffisance ou la non répression des auteurs de grossesse sur mineures constituent des facteurs qui encouragent les fauteurs dans leur élan de prédateurs d’enfants. Abondant dans le même sens, le Secrétaire général de la Csa-Bénin, Anselme Amoussou sans détours estime que c’est le refus par l’administration d’appliquer la législation scolaire et pénale en la matière qui fait perdurer le mal : « La plupart du temps, des autorités hiérarchiques directes ont tendance à protéger les collègues indélicats », a-t-il expliqué. Selon lui, c’est l’administration elle-même qui se met devant pour proposer aux parents dont leurs enfants en sont victimes, une solution à l’amiable, consistant souvent à déscolariser une fille et la contraindre dans une vie maritale ou de ménage. « La seule chose à déplorer, c’est la non-application des textes, de la loi. On a déjà vu plein de collègues qui sont mariés avec leurs élèves. Cela se passe sans aucune gêne », a-t-il soutenu.
Un mal aux conséquences multiples
Le phénomène de grossesses précoces n’est pas sans corolaires dans plusieurs domaines de la société. Selon Pascal Rémi Bossou, sociologue, la déperdition scolaire des filles due aux grossesses précoces est un obstacle pour le développement de la société. « Lorsque nos jeunes filles abandonnent les classes à cause des grossesses, non seulement elles mettent un frein aux projets que les parents ou tuteurs entrevoient pour elles, mais aussi elles portent atteinte à l’évolution de la société », se désole-t-il. Sur le plan de santé, François Kampoundun, Représentant adjoint de l’Unicef au Bénin, précise que ‘’les taux élevés de grossesses précoces et non-désirées chez les adolescentes et de violences sexuelles en milieu scolaire paradoxalement accentuent les risques de santé. Car, pour sa part, les filles-mères de moins de 15 ans risquent 5 fois plus de mourir en accouchant, elles s’exposent aux maladies sexuellement transmissibles (Ist), y compris le Vih/Sida. Aussi, a-t-il fait savoir que l’abandon scolaire remet en cause le système de protection en les exposant au mariage forcé, à l’exploitation, l’exclusion sociale en creusant les inégalités et perpétue également le cycle de la pauvreté. Il a également déploré que la société adopte à plusieurs égards un ‘’silence coupable’’ sur le phénomène et ces cas de violences et d’abus ne sont presque jamais signalés aux agents de protection de l’enfant. Il sera nécessaire, aux dires du Dr François Kampoundun, d’unir les forces de multiples acteurs à divers niveaux en priorisant le changement de comportement individuel et social, interpersonnel, communautaire. « Il s’agira d’appuyer la création d’un environnement favorable pour les droits des enfants en particulier des filles, en soutenant le développement des lois et politiques, la mise à la disposition des services sociaux de base nécessaire et rendre accessibles ces services de qualité aux enfants victimes ou à risques d’abus ».
Quid de la réinsertion des filles mères !
Aujourd’hui au Bénin, avec l’arsenal juridique mis en place par les gouvernants successifs, les filles-élèves victimes ne devraient plus a priori être déscolarisées. Pour Christelle Maillard Assogba, une grossesse précoce en cours de cursus scolaire ne condamne pas indéniablement à une déscolarisation. Elle propose un environnement de prise en charge psychologique, familiale et financière des victimes. Elle ajoute que des programmes de réinsertion ou un retour à l’école si l’adolescente en exprime le désir existe. Gildas Glonou Ayité, Chef Centre de promotion sociale (Cps) Gbégamey-Cotonou, se réfère à l’article 18 de la loi n°2011-26 du 09 janvier 2012, portant prévention et répression des violences faites aux femmes au Bénin. Il soutient ainsi que dans son centre 04 filles-élèves victimes d’environs 15 ans au titre de l’année scolaire 2018-2019, ont toutes repris les cours cette année, parce qu’elles sont régulièrement assistées et suivies. Le gouvernement a pris des dispositions en témoigne la circulaire N°100 et des lois qui protègent les filles et punissent ce genre d’acte, a fait savoir M. Amoussou. Il y a également selon lui tous les actes d’applications de cette loi, les arrêtés, des notes de service, le règlement intérieur, le cahier de charges de l’enseignant au niveau de chaque école, qui sont rappeler chaque année en début d’année scolaire.
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