En ces moments où toutes les attentions sont orientées vers la préparation des élections communales, c’est une gageure que d’entretenir le peuple de valeur citoyenne en nourrissant l‘espoir que les politiques y accorderont de l’intérêt. Mais le virus est là et défie toute suprématie ; l’on ne saurait l’ignorer, alors.
Surpassant toute considération, et n’en déplaise à ceux qui, d’aventure, ne partageront pas notre point de vue, nous saluons la manière sereine dont le gouvernement prévient l’épidémie du coronavirus sur notre sol, en tirant le meilleur parti des manières dont les contrées qui en sont déjà atteintes la gèrent, tout en modulant les mesures qu’il prend avec les conditions spécifiques de notre société. Nous lui devons félicitations et encouragement d’autant qu’il marche sur des œufs ne bénéficiant d’aucun enseignement issu d’expérience antérieure en pareille occurrence. Se comporter autrement, que ce soit de l’intérieur du pays ou de l’extérieur serait acte gravissime déméritoire de l’esprit du civisme. Nous manifestons tout particulièrement notre soutien citoyen, au Ministre de la Santé, actuellement sur la braise, pour son opiniâtreté. Nous bisquions et nous nous demandions quand le chef de l’Etat allait s’adresser à son peuple. Il vient de le faire en ce dimanche 29 mars au moment même où nous mettions la dernière main à notre réflexion, rassurant le peuple qui avait besoin de son apparition. Mais de grâce, que l’on ne nous dissuade pas d’exprimer les réflexions que cette situation nous inspire. Faire des critiques, à bon escient et avec la déférence qui convient n’est point défier ni s’opposer, mais enrichir les actions que prennent nos autorités ; il y va de la survie de tout un chacun.
Idéologie et gestion des affaires publiques
L’objectif que nous visons par la présente réflexion est de mettre en exergue le rôle de la solidarité nationale telle, qu’à notre avis, nous ne la connaissons pas encore dans notre société et que les autorités politiques successives ont manqué de promouvoir jusqu’alors. Mais pourquoi en a-t-il été ainsi ? la solidarité est-elle affaire de droite ou de gauche politiquement parlant ? Il est généralement admis, et de notre point de vue à mal escient, que la gestion des affaires publiques ne peut être que fondée soit sur une philosophie de droite ou sur une philosophie de gauche. A droite ce sont, grosso modo, des régimes qui accordent beaucoup d’importance aux libertés individuelles et publiques en matière politique et à l’initiative privée en matière économique. L’économie de ces pays est, à l’instar de la nôtre. A l’opposé, ce sont les régimes collectivistes qui politiquement sont moins libéraux et économiquement fondés sur une grande intervention de l’Etat avec pour dominante, le social. C’est de cette façon sectorielle que l’on voit généralement les choses et qui a déteint sur notre manière de gérer les affaires publiques à la faveur de l’occupation de notre pays. De notre point de vue, l’idéologie ne devrait pas être un moule préfabriqué dans lequel l’on précipite tout un pays sans égard à ses spécificités. A l’inverse, une idéologie conséquente nous parait devoir être celle qui assemble idées, valeurs, normes et divers paramètres qui conviennent à une population cible eu égard à ses objectifs de développement et à ses aspirations. La Conférence des forces vives de la nation a rejeté le système économique que nous avait amené le marxisme-léninisme, mais elle a renoué avec l’ancien système sans plus de discernement. Tout cela pour dire qu’aucun système ne saurait être exclusif et que tout système devra prendre en compte les aspirations réelles des peuples dans le cadre de l’amélioration de leur bien-être. L’on devrait alors pouvoir introduire dans un système d’économie libérale, à l’instar du nôtre, l’élément d’essence socialiste qu’est la solidarité.
Particularité de notre société et priorisation de la valeur solidarité
La situation économique précaire dans laquelle vit la grande majorité des compatriotes nous interpelle. En effet, nous pouvons dire que le taux de pauvreté n’a cessé de croitre dans notre pays bien que nous n’ayons pas les statistiques les plus récentes. En 2007, il était de 33,3% de la population ; en 2015, il passait à 40,1 et en 2018, il était encore de 46,4 % affectant tout un pan de la population dont le pouvoir d’achat par jour n’atteint pas 1,9 dollars soit la contre-valeur d’environ 1250 de nos francs ; et il est un fait que notre société manque d’harmonie. Les riches côtoient les pauvres, les moins pauvres côtoient les plus pauvres qu’eux et les plus pauvres côtoient les pauvres extrêmes. Le défi c’est de pouvoir gérer ce méli-mélo au mieux des intérêts de chacun.
Mais je puis dire qu’au grand jamais l’on ne pourra le relever si ce n’est qu’avec le soutien de la valeur solidarité ; et il est symptomatique que les autorités politiques n’en aient pas, jusqu’alors, pris la mesure. Elles l’ont même étouffée et délaissée au moment où cette valeur ne demandait qu’à émerger. La science politique nous enseigne pourtant que pour être efficace, la gestion de la chose publique devra s’adjuger, toujours, la composante solidarité. Dans notre pays, la fortune d’un petit nombre passe, sans plus y faire attention, au travers des tourments de la misère des gens ordinaires qui peinent à survivre. Dans un tel environnement, il parait nécessaire que la solidarité joue, entre les différentes couches de la population, le rôle de régulateur social par le biais de l’entraide ; aussi pensons-nous qu’il convient de se réapproprier la notion de solidarité afin de la promouvoir pour l’orienter, non seulement vers le développement au sens générique du terme, mais également vers la concorde nationale. Si elle ne peut induire l’équilibre sociétal, du moins pourrait-elle contribuer à réduire les inégalités, encore qu’il appartient aux Autorités à qui nous avons donné mandat pour nous gérer, de penser à faire de cette solidarité un véritable outil de progrès social. Notre souhait est qu’elles finissent par faire de cette valeur une stratégie de développement et d’assistance. Mais, force est de constater qu’elles ont raté le coche, en maintes occasions.
Nos quatre valeureuses expériences de solidarité restées sans lendemain
Qu’il nous souvienne qu’ici, dans notre pays, nous avons entrepris, avec grand succès, une grande opération de solidarité nationale originale, celle des 120 jours, en l’année 2012, pour équiper nos hôpitaux, particulièrement notre hôpital de référence et nos centres de santé. L’opération avait mis à l’épreuve l’esprit de solidarité nationale tant par son objectif que par son envergure. Toute la population sur l’ensemble du territoire national avait été sollicitée et y avait montré de l’intérêt. L’initiative a été, par ailleurs, empreinte d’une grande noblesse d’autant qu’elle a été non monétaire ; signifiant par-là que l’on a fait de dons qu’en nature. Ce fut une campagne sans déboursement aucun ; aussi l’avions nous qualifié de ‘’propre’’ ; de plus, elle a fait mouche et l’effet d’entrainement a été immédiat.
Qu’il nous souvienne également qu’au cours de la même année 2012, eurent lieu les 100 jours pour équiper les centres de formation techniques, puis la quinzaine de solidarité pour venir en aide au plus démunis d’entre nous. En 2013, avaient suivi la campagne pour équiper nos centres de formation technique ; puis les 90 jours de l’opération de police baptisée Djapkata qui bien que d’essence sécuritaire, avait sollicité, à l’instar des autres opérations, la mobilisation et la solidarité du peuple avec la police pour traquer les criminels et assurer la sécurité des biens et des personnes sur toute l’étendue du territoire. C’est cet ensemble d’opérations de solidarité nationale que j’appelle nos quatre valeureuses expériences de la solidarité nationale et que j’estime, devrait figurer en bonne place dans l’histoire de notre développement économique. Mais qu’en ont fait les autorités politiques ?
Le manque de considération des Autorités pour la notion de solidarité.
Je me rappelle qu’un organe dénommé Haut-Commissariat à la Solidarité avait existé dans un passé récent. Ce fut le Président Boni Yayi qui l’avait créé en l’année 2010 et, sans connaitre la teneur de la lettre de mission de son titulaire, j’ai souvenance que le Haut-Commissaire avait agi dans la recherche de bourses dites de solidarité nationale au profit des jeunes ainsi que dans la gestion des dons alimentaires et des subventions en temps de soudure. L’organe était autonome quand bien même placé sous l’autorité de la Présidence de la République, jouant, semble-t-il, un rôle de conseiller auprès de cette dernière. Cela aurait pu signifier que nous avions déjà pris conscience, en ce moment-là, de l’importance de la solidarité nationale dans la gestion des affaires publiques. Bien au contraire, l’on a commencé à réduire l’autonomie de l’organe en le fondant dans le Ministère de la famille, de la Solidarité nationale, des Handicapés et des Personnes du troisième âge. Puis, à l’avènement du régime du Président Talon en 2016, le Haut- Commissariat disparut purement et simplement de la scène politique.
Comment expliquer ce désintérêt pour la solidarité ?
Je ne connais pas les raisons exactes de cette descente aux enfers d’une valeur aussi déterminante que la solidarité dans la gestion des affaires publiques. Peut-être était-ce en raison de son inefficacité sous le régime du Président Boni Yayi ? Mais alors, il siérait de relever que l’organe en question n’avait pas bénéficié de la définition d’une politique nationale de solidarité qui n’existait pas et qui lui aurait permis de déterminer et d’orienter ses actions conséquemment. Et force est de reconnaître que la définition d’une telle politique relevait du Chef de l’Etat lui-même. Sans politique, et donc sans directive, du moins à notre connaissance, l’instance était confinée dans des actions ponctuelles et sporadiques qu’elle menait vaille que vaille. Et dire que nous aurions pu développer cet esprit de solidarité si celui-là même qui en avait introduit la notion dans la gestion des affaires publiques ne l’avait pas affaiblie par la suite pour des raisons que nous n’avons pu qu’imaginer sans préjudice des réelles, le cas échéant.
Pour ce qui est de la disparition pure et simple de l’organe en question sous le régime du Président Talon, l’on sait que les régimes libéraux comme les néo libéraux estiment que la solidarité nationale qui, bien souvent, consiste à trouver les voies et moyens d’assister les plus défavorisés par devoir de solidarité afin de garantir la cohésion et la paix sociales, n’est fondamentalement pas conforme à leur doctrine de non-ingérence de l’Etat dans la gestion économique des affaires publiques.
Responsabilité des autorités politiques dans le déficit de solidarité dans notre société
Après une timide introduction dans la sphère politique, la solidarité a donc déserté le forum emportant avec elle, semble-t-il, l’esprit même de solidarité. Aujourd’hui, le terme n’existe plus nulle part ; sauf déficit d’information de notre part, aucune structure n’arbore plus son nom. La solidarité aura donc été tout simplement sacrifiée sur l’autel des intérêts politiques du moment et d’une philosophie de la droite classique, puis rangée aux oubliettes.
Considérons la débauche de solidarité dont font montre les pays qui sont actuellement les plus frappés par cette petite bête de virus, sommes-nous capables de faire autant qu’eux au cas où la pandémie gagnerait notre pays ? La réponse est, sans conteste, négative parce que les autorités ont délaissé cette valeur qui a fini par prendre congé. Il est de ma profonde et totale conviction qu’on ne peut gérer efficacement un pays aussi bien en temps de paix qu’en temps de crise de quelque nature, sanitaire en l’occurrence, sans y introduire le paramètre solidarité. D’autres pays l’ont déjà compris. Il est vrai qu’ils ont connu, eux, des guerres, des calamités telles la peste ou la lèpre que nous autres, n’avons heureusement pas connues et qui ont raffermi leur sens de la solidarité. Mais nous ne devrions pas attendre ces choses-là pour réaliser ce qu’est la solidarité et son importance en toute chose. Les autorités auraient dû saisir l’occasion de nos quatre expériences de solidarité pour la promouvoir systématiquement, mais ce ne fut pas le cas. Tout de même ! Quatre manifestations de solidarité nationale, qui s’étaient bousculées, coup sur coup, en peu de temps, entre 2012 et 2013 ; quatre opérations qui se sont révélées d’envergure nationale, et qui, de surcroît, ont été couronnées de succès ! Et l’on n’a pu rien en tirer pour l’avenir ? Lorsque des événements se pressent et se bousculent ainsi sous nos yeux, c’est qu’ils nous offrent leurs enseignements. Et peut-être que d’ores et déjà, tous les discours officiels devraient faire référence au terme solidarité.
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