C’est décidé ! Le Bénin réclame ses biens culturels mis dans le trafic illicite sous le système colonial français. Cette décision courageuse ébranle tout le peuple béninois manifestement représenté par son gouvernement et sa diaspora semble engager un combat de David contre Goliath dans lequel rimeraient pessimisme et optimisme pour un résultat mitigé si les défis juridiques, politiques et diplomatiques souffrent de professionnalisme.
Il s’agit d’une volonté politique manifestant un besoin de justice et d’égalité au plan du dialogue culturel. Le 27 juillet 2016, le Conseil des ministres de l’actuel gouvernement du Bénin manifeste une volonté politique exprimée sans réserve. Le communiqué révèle le retour des objets précieux royaux emportés par l’armée française lors de la conquête de novembre 1892. Il s’agit de la restitution des biens du patrimoine culturel engagés dans le trafic illicite sous le système colonial français.
Une volonté politique manifeste
Une volonté murmurée, ruminée et soumise à une rétention qui a froissé pendant cent vingt-quatre bonnes années, la dignité et l’autonomie de tout un peuple ; les ex-Dahoméens. Si la pensée mûrie et exprimée représente le canal évident par lequel l’action s’ébranle et se meut, le gouvernement béninois, placé depuis avril 2016 sous la gestion et le leadership du président Patrice Talon qui accède au pouvoir après une alternance démocratique dont ce pays de l’Afrique de l’ouest peut réclamer l’exception de bon exemple, a marqué un coup important. C’est une remarque fait par le poète français Jean Pierre Paulhac qui un an plus tôt, a soumis à la publication du magazine Patrimoine & Tourisme, un article édifiant sur le sujet. Aujourd’hui, le sujet est officiellement d’actualité. Il préoccupe mieux que personne, l’administration centrale, l’autorité politique principale. Celle-ci s’appuie sur le dynamisme de certains Béninois de la diaspora et du Conseil représentatif des associations noirs de France (CRAN) dont le président Louis-Georges Tin précise lors d’un entretien accordé à la chaîne Tv5 : « cinq mille pièces du patrimoine culturel béninois des quatre-vingt-dix pour cent du patrimoine culturel africain se retrouvent sur le territoire français». Ces biens patrimoniaux sont certainement dispersés dans les institutions culturelles françaises et chez certains privés. N’est-ce pas une situation favorisée par les nombreuses conséquences de la politique coloniale française dont la réparation des méfaits et séquelles nécessite des mesures politiques, diplomatiques et juridiques ? La décision du 27 juillet traduit sans doute une prise de conscience de l’Etat béninois qui se montre déterminé à récupérer les biens de son patrimoine culturel illicitement emportés par le colonisateur. La détermination du gouvernement béninois procède par la jonction de l’acte à la parole. Elle aboutit à des instructions formulées à la charge du ministre du Tourisme et de la Culture et de son homologue des Affaires étrangères, le premier motivé à prendre « des dispositions en vue de la construction d’une enceinte sécurisée au Musée historique d’Abomey pour accueillir et abriter les biens à leur retour», le second invité à faire des négociations avec les autorités françaises et l’Unesco pour «obtenir le recensement préalable de tous les biens royaux précieux emportés et organiser l’acheminement des biens ainsi recensés vers le Bénin». N’est pas une volonté politique expressive d’une soif de justice en vue d’un nouveau départ pour un dialogue culturel sain et élévateur de l’identité culturelle des peuples africains ?
Du rêve à la réalité de la restitution, la voie du droit et de la diplomatie doit être explorée avec intelligence et pragmatisme. Le préalable de la volonté politique satisfait, il faut des actions concrètes et convaincantes au double sens des conditionnalités juridiques et diplomatiques.
Le problème du retour des objets précieux appartenant au patrimoine culturel d’une communauté est encadré par le droit. En la matière la norme en vigueur relève d’un dispositif juridique international, d’une convention dont l’application exige la ratification et le consentement de l’Etat partie. Il s’agit de la convention adoptée à Rome en 1995. Elle s’intitule « Convention d’unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés». Plusieurs dispositions de cette loi communautaire aborde la possibilité et les modalités de retour des biens culturels emportés du territoire d’un Etat. Mais, ces dispositions juridiques, bien qu’elles consacrent le principe selon lequel «un Etat contractant peut demander au tribunal ou à toute autre autorité compétente d’un autre Etat contractant d’ordonner le retour d’un bien culturel illicitement exporté du territoire de l’Etat requérant », soumettent malheureusement la réalité de cette restitution à des conditions complémentaires. Le réalisme de la volonté politique suscite plusieurs questions à mieux cerner. Qui prendra la décision de la restitution des biens culturels exportés ? Mieux comment assurer l’exécution de cette décision si elle est prise ? La réponse à ces questions nous plonge dans les méandres du droit international qui règle les conflits internationaux.
Conditions
C’est bien de ce type de conflit qu’il s’agit dans le cas école de la demande de restitution des biens culturels formulée par le Bénin. L’ex-Dahomey pourra faire prospérer ce projet en réunissant deux conditions cumulatives. La première porte sur la capacité à négocier la bonne volonté et la clémence de l’Etat possesseur qu’est la France. Celle-ci est libre de donner une réponse favorable ou non à la sollicitation béninoise. La bonne collaboration ne se révèlerait-elle pas défaillante ? Si le manque à gagner pour le tourisme serait considérable, la France serait-elle prête à abandonner la jouissance de plus d’un siècle, des retombées économiques liées à l’exploitation des objets patrimoniaux de ses anciennes colonies ?
La deuxième condition concerne l’application d’une décision prise par une institution de règlement de conflit international au cas où la démarche pacifique ne serait pas concluante. Dans le cas d’espèce le droit applicable est la Convention Unidroit. Ce texte s’applique si le différend oppose deux Etats partie à la convention par le truchement de la ratification. Ces conditions ne sont malheureusement pas réunies. La France n’a pas ratifié la convention Unidroit. Elle ne s’oblige à l’applicabilité de ses dispositions. Il ne serait pas certain que le juge français accepte de concéder aussi facilement au Bénin, l’exéquatur à une décision visant l’application des textes de l’Unidroit. L’exéquatur représente une autorisation complémentaire qui renforce et valide le caractère exécutoire et/ou l’autorité de chose jugée d’une décision prise par une institution communautaire de règlement de conflit.
Au plan juridique et diplomatique donc, la volonté politique relative au retour des objets précieux royaux emportés par l’armée française lors de la conquête de novembre 1892 se fonde sur une plateforme de subjectivité et sur la problématique de la souveraineté des Etats au regard du droit international.
Soyons réalistes
Mais restons réalistes et moins émotifs, car gérer le patrimoine culturel, c’est affaire de ressources matériels, humaines et financières. Au nombre des arguments que la France oppose au Bénin pour refuser la restitution des biens de son patrimoine culturels qu’elle a emportés, il y a celui de l’inexistence des normes et des garanties de sécurité. L’anecdote du voleur qui refuse de remettre la chose volée à son propriétaire sous prétexte que ce dernier ne peut bien entretenir et protéger le bien est merveilleusement citée par Louis-Georges Tin. Mais il faut en tenir compte. Cette défaillance d’équipements et de ressources. Car la gestion du patrimoine culturel est une affaire de prise de responsabilité ; une exigence intrinsèquement liée à des besoins de ressources. Celles-ci sont évidemment matérielles, humaines, et financières.
Une chose est de réclamer des mains d’un autre Etat, la restitution des biens patrimoniaux dont on est propriétaire, mais une autre, plus lourde, est de pouvoir s’en occuper, convenablement, objectivement et efficacement. Le patrimoine culturel est composé de biens et d’éléments tellement précieux qu’il faut inéluctablement les préserver contre les risques de détérioration, de perte, de dégradation. Il représente des objets et données profondément liés à l’identité d’une communauté à telle enseigne que les protéger pour les transmettre à la génération future s’impose comme une obligation éthique voire juridique. Le patrimoine culturel d’un Etat est appelé à être efficacement protégé, consciencieusement conservé et soigneusement valorisé. A ce titre et dans la dynamique du retour de ses objets royaux précieux autrefois emportés par son colonisateur, le Bénin s’invite à construire des infrastructures modernes dotées d’équipements de surveillance, et de conservation. Des meubles de rangement et d’exposition doivent être réalisés, des équipements de luminosité, de climatisation, le tout installé dans un espace aéré, protégé de la poussière, de l’eau et du feu. Il faut que les biens en attente de retour et ceux qui sont déjà là soient protégés du feu dont la fréquence est connue au musée d’histoire d’Abomey. Cette logistique doit être confiée à un personnel formé, expérimenté, périodiquement recyclé et conscient de la déontologie du métier. A tout ceci, s’ajoute la mise à disposition continue et permanente de ressources financières pour la prise en charge des dépenses de fonctionnement et de mise en œuvre de mini-projets visant la valorisation de ces biens précieux. Soyons conscients que l’entretien, et la conservation des objets précieux du patrimoine culturel béninois exportés sous la colonisation ont duré plus d’un siècle et ces biens existent encore et en bon état. Cela n’est possible pour la simple raison que l’Etat possesseur, la France engage des ressources importantes pour cette mission de gardien et de protectrice. Le Bénin est-il prêt pour une telle responsabilité ? ?