Nécessaire abandon du concept du sexe faible et saisine de l'Académie française
La journée des droits des femmes a été comme une détente dans une atmosphère pesante de tensions politiques dans laquelle nous ont plongé, une fois de plus les politiciens, sur fond d'élections législatives, rappelant celle que nous avions connue naguère sur fond de renouvellement du mandat présidentiel. Qui a dit, alors, que la société béninoise n'est pas une société de crise ? Mais pour en rester à l'émancipation de la femme, soufflons à l'oreille de la gente féminine qu'elle devrait pouvoir s'assumer pleinement et peut-être un jour, viser elle aussi le pouvoir d'Etat. Nous avons déjà tout essayé dans ce pays, hormis elle.
Nous dirons, à brule-pourpoint qu'il nous parait inconséquent de mener la lutte de l'émancipation de la femme alors que notre littérature et notre langage quotidien, que ce soit dans notre culture fondamentale, la traditionnelle, ou dans notre culture d'apport, la française, il est fait état permanemment de l'inégalité entre la gente masculine et la gente féminine.
Le ‘'sexe faible'' un concept suranné et handicapant
Nous venons d'honorer la journée internationale des droits des femmes et je continue de me poser la question de savoir comment les Français ont-ils pu avoir l'idée d'identifier la femme au sexe faible ; elle qui pourtant est porteuse et source de vie. Outre le fait que dans notre esprit, l'expression manque un tantinet de décence et d'élégance, elle n'est que trop évocatrice à maints égards. Il nous parait alors que les académiciens français gagneraient à la réformer comme ils savent si bien le faire pour ennoblir, de temps à autre, certaines fonctions ou positions sociales. Professeurs des écoles pour instituteurs ; appariteur pour planton ; agent de surface pour homme ou femme de ménage ; troisième âge pour vieux ou vieilles. Les immortels de l'Académie, habilités à être les juges éclairés du bon usage des mots pour les mettre en adéquation avec les notions et les valeurs qu'ils portent, rendraient alors, ce faisant, en ce qui concerne le ‘' sexe faible,'' grand service à tout l'espace francophone, notamment aux intellectuels y résidant.
Nonobstant le fait que l'origine de l'expression ‘'sexe faible'' semble faire référence au péché originel qu'aurait commis Eve au jardin d'Eden en cédant à la tentation et qui aurait motivé que l'on ait fait de la femme la pécheresse type, cette réforme mérite d'être faite. Elle le mérite d'abord parce que ce ne peut être en raison du fait qu'une femme a péché au regard de la foi chrétienne, que les femmes de tous les temps sont et seront pour toujours des pècheresses. De plus, la foi n'est pas affaire mondiale alors que la langue française véhicule des idées et des valeurs qui affectent le monde entier. Elle porte et défend les valeurs françaises sur tous les continents sans exception et auprès de 274 millions de locuteurs dont 212 millions en font un usage quotidien. C'est dire l'envergure de son influence et aussi de sa responsabilité quant à la socialisation des peuples.
En l'occurrence, la valeur que véhicule la langue française qu'en la circonstance nous dissocions de la culture française, n'est pas l'égalité entre l'homme et la femme ; elle laisse entendre que toute force se trouve du côté masculin et qu'à l'inverse, toute faiblesse est l'apanage féminin, et il y a matière à surprise que les françaises elles-mêmes, citoyennes d'un pays laïc, n'aient pas trouvé à redire auprès de l'académie française sur l'attribut de ‘'sexe faible'' qui leur est donné. En tout état de cause, cette dénomination dérange et s'interfère dans la lutte que nous autres menons dans l'espace francophone en faveur de l'émancipation de la femme. Cela, d'autant que, sous l'influence consciente ou diffuse du concept de ‘'sexe faible'', des intellectuels ont tendance à se comporter envers leurs compagnes, même lettrées, avec un machisme d'une autre époque, que continue de véhiculer, à mal escient, la langue française.
Saisine de l'Académie française
C'est pour toutes ces raisons que nous avons jugé utile de saisir humblement l'Académie française par lettre dont nous publierons copie dans vos colonnes, pour porter sa bienveillante attention sur les problèmes que nous pose le vocable ‘'sexe faible'' dans la lutte pour l'émancipation de la femme. Nous nous permettrons de lui suggérer tout aussi humblement d'envisager l'alternative d'y substituer l'expression ‘'sexe de la création'' afin de situer et de mettre en exergue le rôle initial et la place de la femme dans la société d'aujourd'hui, répondre à l'évolution des temps, et se mettre en phase avec la lutte mondiale pour l'émancipation de la femme en diapason, du reste, avec la deuxième composante de la devise française : égalité.
Rétrospective
En fait, le maintien de l'expression ‘'sexe faible'' dans la littérature française, à travers les temps, n'a rien qui surprenne si l'on considère le fait que la France, pourtant pays des droits de l'homme, a trainé les pieds pendant longtemps avant d'accorder le simple droit de vote à ses citoyennes alors privées de tout droit civique. Tandis que la Nouvelle Zélande avait accordé ce droit aux femmes depuis 1893 et que les démocraties européennes lui avaient emboité le pas promptement, la France a attendu 1947 soit plus d'un demi-siècle, pour suivre le mouvement. Preuve de sa perception misogyne de la femme à l'époque, en parfaite adéquation, il faut bien le dire, avec l'expression ‘'sexe faible''. Devrait-on aussi rappeler que ce n'est qu'en 1907 que la France a permis aux Françaises de disposer de leurs salaires comme elles l'entendaient sans plus besoin de requérir l'autorisation de leurs maris ? Ce fut de haute lutte que les françaises ont obtenu un certain nombre de droits civiques et aujourd'hui encore elles se battent pour l'égalité des salaires et la parité dans tous les organes de décisions. Il est de notre opinion qu'elles ne méritent point l'attribut hypothéquant de sexe faible qui leur colle à la peau. Mais gardons-nous d'être plus royaliste que le roi.
Du mythe du sexe fort
. Pourtant une étude publiée par la prestigieuse revue médicale anglaise ‘'The british medical journal'' à la suite de la conférence internationale sur l'éducation et intitulée ‘'The fragile male'' nous apprend entre autres que les résultats scolaires des filles sont généralement supérieurs à ceux des garçons ; que les maladies coronariennes, le diabète, l'alcoolisme, les ulcères et le cancer du poumon sont plus répandus chez les hommes que chez les femmes ; que l'endurance physique des femmes est plus élevée que celle des hommes ; que leur espérance de vie est supérieure à celle des hommes dans la plupart des pays et que l'écart a tendance à s'accentuer.
Nous estimons par ailleurs qu'outre la finesse et la délicatesse que l'homme n'a généralement pas, la femme incarne la volonté forte et la détermination dans les fonctions qu'elle occupe. Et puis, c'est elle qui donne naissance à l'homme ; elle est l'avenir de l'homme. En cas de rapport de force entre époux civilisés, c'est elle qui a généralement le dernier mot, et il ne reste à l'homme qu'à baisser pavillon. De quel côté se trouve donc la fragilité ? Hormis la difficulté à soulever un poids lourd, où est donc la faiblesse structurelle de la femme relativement aux capacités, et aux compétences de l'homme, susceptible de motiver le traitement de sexe faible qui lui est réservé ? Sa grâce est-elle faiblesse ?
Il est heureux, sauf déficit de documentation de notre part, que la notion de ‘'sexe faible'' n'ait pas eu droit de cité dans notre culture fondamentale ; cela ne signifie guère que la femme y est considérée comme l'égale de l'homme ; tant s'en faut. Mais notre culture n'en a pas fait une philosophie, un dogme. La bonne preuve en est l'épopée des femmes amazones, guerrières redoutables et craintes, chargées de « marcher sur les hommes » et qui ont joué un grand rôle dans les différentes conquêtes territoriales de nos rois.
L'énigme
Toutefois, force est de constater, et c'est là qu'est l'énigme, qu'à l'opposé de cela, l'histoire nous apprend aussi que les épouses de nos souverains se faisaient ensevelir avec eux pour rester à leur service dans l'au-delà. Cette pratique mythique parait être le symbole même de la soumission intégrale de la femme pouvant affecter de manière atavique et sans que l'on s'en aperçoive vraiment, les relations entre hommes et femmes de nos jours, intellectuels comme illettrés. Mais qui sait si, en fait, la pratique en question relevait d'un acte de soumission ou d‘une marque d'attachement éternel au conjoint. Toujours est-il qu'elle n'a plus cours ; il faut bien le dire. Mais l'énigme persiste lorsque la femme actuelle ne se montre pas encore déterminée à s'assumer et qu'elle s'abandonne à l'idée qu'il y a des fonctions auxquelles elle ne peut ni ne doit accéder, réservées qu'elles seraient aux hommes. L'énigme perdure lorsqu'en dehors du giron familial, des intellectuelles, s'exprimant en public appellent de façon si étrange, leurs maris, Papa alors qu'elles sont censées promouvoir l'émancipation de la femme. L'autonomisation des femmes n'a pas encore la résonnance ni l'écho qui conviennent dans la masse féminine, cependant que l'énigme n'est pas insurmontable ; c'est une affaire d'éducation progressive avec le concours du temps. Il reste que la nature a fait l'homme et la femme pour qu'ils se complètent harmonieusement en toutes choses
De la complémentarité homme et femme
C'est une lapalissade que les deux principaux acteurs du ménage sont complémentaires tant dans l'engendrement de leur progéniture que dans la conduite du ménage ; l'un ne peut donc prétendre dominer l'autre et la notion de différence entre eux permet de définir leur complémentarité réciproque. Mais si dans cette collaboration naturelle, nous examinons les pierres d'achoppement de l'émancipation de la femme, il est aisé de déterminer qu'elles ont trait, paradoxalement, aux trois composantes qu'elle assume précisément pour garantir l'équilibre de la famille. Elle est épouse ; elle est éducatrice et elle est agent économique Les goulots d'étranglement à son émancipation dans ces différents domaines sont à rechercher au niveau du conjoint ainsi qu'il suit.
En tant qu'épouse, il arrive que la femme soit victime de violences physiques ou morales de son mari. Le problème est donc au niveau de l'auteur de ces incartades. En effet, que connaît l'homme de la femme lorsqu'il contracte mariage et qu'il se met en ménage. A peu de chose près, rien. Il ne connaît pas ses sensibilités ; il ne connaît pas ses aspirations ; il ne sait pas ce qui a de l'importance pour elle et ce qui n'en a point. Il découvre tout cela à la longue, chemin faisant avec elle. Il n'y a point de stage pré nuptial pour apprendre la nécessaire complémentarité du couple. L'homme va au mariage avec l'intime conviction qu'il est chef de famille, le seul maitre à bord et qu'en toutes circonstances la femme, considérée comme une mineure, devra suivre. C'est donc lui qu'il convient d'éduquer à la lumière de notre code de la famille.
La femme est mère et la nature lui a donné l'instinct maternel pour qu'elle s'occupe de son enfant avec amour et abnégation. Elle est de ce fait et intrinsèquement éducatrice, mais l'éducation des enfants devrait impliquer les deux parents ; elle devrait être perçue comme une symphonie que joue tous les deux, chacun avec sa partition et son instrument. Dans une famille qui se veut équilibrée, le père joue la partition du savoir et du savoir-faire ; la mère joue celle du savoir se comporter. L'instrument de musique du père est la remontrance, la rigueur et la punition, le cas échéant. L'instrument de la mère est son coeur et sa sensibilité. Mais la culture éducative des parents peut être limitée sans compter que dans bien des cas le père démissionne et se décharge carrément de l'éducation des enfants sur leur maman. Il convient de les aider en leur apportant du soutien par l'éducation parentale que dispense les éducateurs. A cet effet, il serait hautement indiqué qu'en marge des formateurs, l'Etat favorise la constitution d'un corps d'éducateurs qui eux, auront vocation à aider les tout-petits à s'épanouir et à s'initier à la vie en société avant l'étape scolaire où les formateurs les prendront en charge. Ces éducateurs sont également habilités à aider les parents à trouver leur propre solution éducative pour qu'ils prennent confiance en leurs capacités parentales.
La femme est aussi agent économique. Abstraction faite de l'intellectuelle, elle est commerçante, travailleuse agricole, vendeuse à l'étalage, vendeuse ambulante, ouvrière dans les marchés, servante dans les maquis et que sais-je encore ? C'est elle qui va puiser l'eau qu'attend son homme pour se laver. C'est à elle que la municipalité accorde la pénible corvée de balayer les rues avec son bébé langé au dos sous le chaud soleil. Et que diantre attribue-t-on à tel être le qualificatif de faible ? L'abnégation et les sacrifices auxquels elle consent au nom de sa famille ne méritent pas cela. Le sexe est masculin ou féminin ; il ne saurait y avoir de sexe fort ni de sexe faible.
Les hommes sur la sellette
. L'émancipation, c'est avant tout, tirer quelqu'un des liens qui l'étouffent et lui rendre sa dignité. Notre code civil de Juin 2004 a pavé la voie à cette libération, entre autres, en abolissant la polygamie et en instaurant l'autorité parentale en lieu et place de celle du chef de famille. Mais en définitive, lorsque l'on essaie de comprendre pourquoi nos femmes n'émergent pas socialement, la réponse ne saurait se faire attendre : ce sont les hommes qui ne les accompagnent pas et qui les en empêchent des fois ; ce sont eux qu'il convient d'éduquer. Alors, ne nous trompons pas de cible et rompons, pour de bon, tout lien avec le concept du sexe faible.
Ambassadeur Candide AHOUANSOU