Les Sages de la Cour constitutionnelle ont rétabli l’ancien procureur de la République, Justin Gbenameto, magistrat. C’est à travers la DCC 19-270 du 22 Aout 2019. Et ce suite à la saisine de deux requêtes identiques en date à Cotonou des 30 janvier et 26 mars 2019, enregistrées à son secrétariat aux mêmes dates sous les numéros 0242/040/REC-19 et 0696/151/REC-19, par lesquelles monsieur Justin Séyivi Gbenameto, qui a demandé à la Cour de sanctionner la violation de ses droits humains. Lire l’intégralité de ladite décision.
La Cour constitutionnelle,
Saisie de deux requêtes identiques en date à Cotonou des 30 janvier et 26 mars 2019, enregistrées à son secrétariat aux mêmes dates sous les numéros 0242/040/Rec-19 et 0696/151/Rec-19, par lesquelles monsieur Justin Séyivi Gbènamèto demande à la Cour de sanctionner la violation de ses droits humains;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Razaki Amouda Issifou en son rapport, Monsieur Justin Gbènamèto, assisté de son conseil, maitre Aziz Koladé Onifadé, les représentants du président de la République, du Ministère de la justice et de la législation et du Conseil supérieur de la magistrature en leurs observations à l’audience plénière du 22 aout 2019;
Après en avoir délibéré,
Considérant que monsieur Justin Séyivi Gbènamèto soutient que monsieur Thomas Boni Yayi, alors président de la République, a instrumentalisé le Conseil supérieur de la magistrature pour porter atteinte à ses droits ;
Qu’en premier lieu, il déclare avoir été irrégulièrement radié ; qu’il affirme avoir été d’abord suspendu de ses fonctions de procureur de la République de Cotonou le 17 octobre 2013 suite à une procédure montée de toute pièce, avant d’être radié du corps des magistrats, le 14 janvier 2O14 par une décision du Conseil supérieur de la magistrature ; qu’il souligne que cette décision n’a jamais été portée par un acte exécutoire, en l’occurrence, un décret ; qu’il soutient que l’intégration dans le corps de la magistrature se fait par décret pris en Conseil des Ministres et la radiation ne saurait être prononcée par un autre organe, parallélisme des formes obligeant ; qu’il en invoque l’implication juridique selon laquelle la décision du Conseil Supérieur de la Magistrature ayant duré dans le temps, cinq ans environ, sans support légal, notamment le décret, s’est muée en voie de fait, l’empêchant d’accomplir ses obligations professionnelles et viole par voie de conséquence l’article 33 de la Constitution;
Qu’en second lieu, il élève devant la Cour, la violation de son droit à la justice ; qu’il explique à ce sujet, qu’à son retour d’exil, et après constations par exploit d’huissier du 30 novembre 2016 de l’inexistence du décret portant sa radiation, il a introduit des recours auprès du ministre chargé de la Justice, du Président de la République et du Conseil supérieur de la magistrature, aux fins de sa réintégration dans ses fonctions de magistrat ; que lesdits recours sont restés sans suite ; que le silence de ces organes constitue, selon lui, une torture morale, un obstacle à son épanouissement et une atteinte à son droit à la justice ; qu’il demande à la Cour de faire cesser les violations dont il fait l’objet, d’enjoindre au Président de la République la prise du décret portant sa reprise d’activité et la réparation des préjudices qui lui sont causés;
Considérant qu’à l’audience plénière du 22 août 2019, le requérant a réitéré ses demandes et maintenu ses observations ; qu’en revanche, le Conseil supérieur de la magistrature (Csm), représenté par son Secrétaire général adjoint pris en la personne de monsieur William Kodjoh-Kpakpassou fait état de ce que le requérant a introduit une demande de réintégration au Csm en date du 4 janvier 2018 ; qu’a l’examen de cette demande le Conseil s’est aperçu que la révocation prononcée à son encontre a été entérinée par le décret n° 2014-329 du 20 mai 2014 portant révocation de Monsieur Justin Séyivi Gbènamèto du corps de la magistrature béninoise et a conclu au rejet de sa demande au cours de sa session du 5 mars 2019 ; qu’il produit à l’appui photocopie du décret de révocation ainsi que celle de sa notification au Garde des sceaux, ministre de la Justice et de la législation suivant lettre en date du 08 mars 2019 ; qu’en réponse, le requérant rappelle que le compulsoire établi par acte de maître Soulémane Bello, huissier de justice , le 30 novembre 2016, au Journal officiel, révèle que dans la période du 14 janvier 2014 au05 avril 2016, aucun décret n’a été publié faisant état d’une quelconque sanction administrative à son encontre ;
Vu les articles 3 alinéa 3, 114, 128 alinéa 1 de la Constitution ; 5, 7 de la Charte africaine de droits de l’Homme et des peuples et 17 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle;
Considérant que la jonction est nécessaire lorsque les recours portent sur le même objet et tendent aux mêmes fins ; que les deux recours formés par Monsieur Justin Séyivi Gbènamèto réunissent non seulement ces critères, mais sont identiques tant en la forme que dans le fond ; qu’il y a donc lieu de les joindre pour y faire suite par une seule et même décision ;
Considérant que si en vertu de l’article 3 alinéa 3 de la Constitution, la Cour a vocation à examiner toute loi, tout texte règlementaire et tout acte administratif en vue d’en vérifier la conformité à la Constitution et d’en sanctionner la non-conformité au besoin, il ne relève cependant pas de sa compétence, telle que spécifiée par la Constitution, de donner des injonctions au président de la République, au Ministre de la Justice et au Conseil supérieur de la magistrature, sans méconnaître le principe à valeur constitutionnelle de non immixtion par un organe institué par la Constitution dans les prérogatives non dérogeables d’un autre organe également institué par la même Constitution ; qu’il y a lieu de dire de ce chef que la Cour est incompétente ;
Considérant que le recours élève à la connaissance de la Cour le dysfonctionnement des institutions ; qu’il y a dysfonctionnement lorsque la nécessaire intervention à la réalisation des fins du droit et à l’exercice du pouvoir d’Etat de plusieurs institutions fait défaut ; qu’en l’espèce, la sanction disciplinaire du magistrat ne peut être effective que par l’intervention successive, nécessaire et complémentaire du Conseil supérieur de la Magistrature, délégataire du pouvoir judiciaire en cette matière conformément à l’article 128 de la Constitution, à la loi organique relative au Conseil supérieur de la Magistrature et à la loi portant statut de la magistrature, et du pouvoir exécutif incarné par le Président de la République ;
Considérant que lorsqu’alors apparait, à titre circonstanciel, un tel dysfonctionnement dans la mise en œuvre du pouvoir d’Etat par les Institutions de la République et que cela occasionne la mise en cause des droits fondamentaux de la personne, l’intervention de la Haute juridiction aux fins de régulation doit viser essentiellement à rétablir la jouissance de ces droits fondamentaux.
Considérant que les observations faites à la barre par le représentant du Conseil supérieur de la magistrature et les pièces produites à l’appui ne sont pas de nature à rectifier ni à corriger les manquements relevés ; qu’en ce qui concerne le décret dont la photocopie est produite, il n’est opposable au requérant qu’après avoir été publié au Journal officiel ; que Maître Soulémane Bello, huissier de justice, constate dans son Procès verbal de compulsion établi le 30 novembre 2016 que : « après avoir compulsé les journaux publiés dans la période du 14 janvier 2014 au 15 avril 2016, nous avons constaté qu’aucun décret n’a été publié, faisant état d’une quelconque sanction administrative à l’encontre de monsieur Gbènamèto Justin » ; qu’il s’ensuit que le décret visé ne saurait être opposable au requérant ;
Considérant qu’au surplus, il n’est pas établi que monsieur Justin Seyivi Gbènamèto ait reçu notification dudit décret de révocation ; que le Garde des sceaux, ministre de la Justice et de la législation, en charge de la notification au requérant de la décision de révocation, n’a reçu de la part du Csm notification de ladite décision de révocation rendue le 14 janvier 2014 que le 08 mars 2019 après l’introduction du présent recours ;
Considérant qu’en l’espèce, le Conseil supérieur de la magistrature auquel l’article 128 alinéa 1 de la Constitution et l’article 17 de la loi organique relative au Conseil supérieur de la magistrature confèrent un pouvoir juridictionnel propre, a prononcé la radiation du requérant par décision en date du 14 janvier 2014 ; que le fait que cette décision n’ait été efficacement portée à la connaissance du requérant est constitutif d’un dysfonctionnement entre le pouvoir judiciaire, incarné en matière de discipline des magistrats par le Conseil supérieur de la magistrature et le pouvoir exécutif ; que ce dysfonctionnement est cause de torture morale portant atteinte à la dignité inhérente à la personne humaine au sens de l’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et met également en cause le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
Considérant qu’en cet état, où le blocage institutionnel caractérisé est source de violation des droits fondamentaux de la personne humaine, il y a lieu, pour y mettre fin, de dire que la décision de radiation prononcée contre le requérant n’ayant pu sortir aucun de ses effets, celui-ci doit être rétabli dans ses droits ;
En conséquence :
Article 1er : Dit que la Cour est incompétente à donner des injonctions au Conseil supérieur de la magistrature et au président de la République.
Article 2 : Dit que la décision de radiation prononcée contre monsieur Justin Séyivi Gbénamèto n’a pu sortir aucun de ses effets.
Article 3 : Dit que Monsieur Justin Séyivi Gbènamèto doit être rétabli dans ses droits
La présente décision sera notifiée à Monsieur Justin Séyivi Gbènamèto, au président du Conseil supérieur de la magistrature et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le vingt-deux aout deux mille dix-neuf,
Messieurs Joseph Djogbénou Président
Razaki Amouda Issifou Vice-président
Rigobert A. Azon Membre
André Katary Membre
Fassasi Moustapha Membre
Sylvain M. Nouwatin Membre
Le Rapporteur, Le Président,
Razaki Amouda Issifou Joseph Djogbénou
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