En visite de travail en France, le président Patrice Talon, à l’invitation du Medef a rencontré des entrepreneurs de France le 30 août dernier. A cette occasion, le président du Bénin a justifié sa «poigne» pour mener «des réformes structurelles et une lutte implacable contre la corruption». Devant les entrepreneurs français, le président Patrice Talon a indiqué que : « la recette du développement tient en trois mots : volonté, sérieux, labeur. Cela nous a fait défaut. Nous ne pouvons plus nous contenter de la nature exceptionnelle que Dieu nous a donnée. La notion d'être “acharné au travail” doit devenir notre quotidien. Si on le met en œuvre, on peut partir de rien et grandir ».
Ancien roi du coton, Patrice Talon a été réélu en 2021 président du Bénin. Un mois après la visite d'Emmanuel Macron dans son pays, il est en France, invité d'honneur du Medef. La France a restitué les trésors d'Abomey au Bénin. Quel impact a, sur le continent, cette restitution d'œuvres d'art majeures ?
Patrice TALON : Elle établit un nouvel ordre relationnel entre anciennes colonies et anciens occupants. Les valeurs éthiques actuelles veulent que certaines injustices du passé ne polluent pas le présent. Il s'agissait de mettre fin aux frustrations générées par la présence de certaines œuvres très symboliques dans les musées occidentaux, comme ces trônes des anciens rois du Dahomey. Les restitutions ne doivent pas concerner toutes les œuvres anciennes mais seulement celles qui ont une valeur historique et mémorielle forte. Venez à Cotonou, vous verrez quels égards on réserve à ces œuvres restituées !
Quels sont aujourd'hui les problèmes de sécurité dans le golfe de Guinée ? Êtes-vous armé pour y répondre ?
Nous avons réussi à éliminer la piraterie dans les eaux béninoises. Quant au terrorisme islamiste à notre frontière nord, nous mettons en place une dynamique sous-régionale à travers l'Initiative d'Accra. Elle a vocation à fédérer les stratégies de lutte contre le terrorisme dans cette bande au sud du Burkina Faso. Nous sommes capables de maîtriser la situation. Le Bénin devient l'oasis de l'Afrique de l'Ouest.
Est-ce que vous souhaitez que la France soit votre partenaire privilégié dans la défense de votre pays ?
La France est un partenaire fiable et important, sans être pour autant le seul. Ce partenaire a l'expérience, les moyens techniques et opérationnels pour nous appuyer dans notre stratégie.
Selon la Banque mondiale, le Bénin a changé de catégorie en devenant un pays à revenu intermédiaire.
Quelle est votre recette du développement ?
La recette du développement tient en trois mots : volonté, sérieux, labeur. Cela nous a fait défaut. Nous ne pouvons plus nous contenter de la nature exceptionnelle que Dieu nous a donnée. La notion d'être “acharné au travail” doit devenir notre quotidien. Si on le met en œuvre, on peut partir de rien et grandir. Je viens d'un milieu modeste. J'ai été rigoureux dans ce que je faisais et cela m'a permis de gravir les échelons. Jusqu'à présent, au Bénin, nous étions habitués au contraire. Les gens attendaient une promotion du copinage politique plutôt que de leur propre mérite. Il faut que les Béninois l'entendent : notre sous-développement n'est pas la faute des autres, mais celle de nos insuffisances.
Une expression démocratique similaire entre un pays construit et un pays en construction est un leurre.
Vous êtes à Paris pour intervenir à la REF (Rencontre des entrepreneurs de France) du Medef. Quelle place les investisseurs français ont-ils au Bénin ?
Les investisseurs français comme ceux des autres régions du monde sont attendus et désirés à Cotonou. Avec la France, nous avons un passé, une culture et une langue en commun, ce qui facilite les choses. Je vais au Medef pour cette raison.
Quelle sécurité êtes-vous prêts à leur donner pour leurs investissements ?
Nous leur mettons à disposition des ressources pour protéger leurs investissements. Par exemple, si vous souhaitez vous retirer du pays après une période initiale, l'État est capable de reprendre vos investissements. Chacun, selon sa demande, aura un accompagnement de l'État du Bénin.
Comment répondre au défi démographique africain ?
Le Bénin, et de manière générale l'Afrique, est confronté à une croissance démographique trop élevée. C'est un facteur pénalisant pour notre développement. Autant la taille d'une population et sa jeunesse peuvent être un atout, autant son augmentation trop rapide est un frein à son développement. En effet, quand la demande en matière d'éducation et de formation, en matière de santé et en matière d'emploi croît beaucoup plus vite que l'investissement et l'offre dans ces trois domaines, le pays s'appauvrit.
Pourquoi ?
Beaucoup n'ont pas compris que les moyens dont disposent les États ne permettront jamais de satisfaire les exigences d'une population qui croît de manière exponentielle. Dans la tradition, la maison familiale assure les moyens quand on vieillit. Mais les choses ont beaucoup changé. Tout cela peut être mis dans une politique de maîtrise des naissances, avec de la pédagogie et des mesures incitatives. À partir de 2023, nous lançons un grand programme de maîtrise des naissances au Bénin. Il faut avoir le courage de le faire.
Comment faire pour lutter contre les réseaux d'immigration clandestine ?
Il faut une collaboration courageuse entre les États. Les gouvernements africains devraient être plus engagés, à la source, contre les réseaux de trafiquants. Ils ont du mal à le faire parce qu'ils redoutent les conséquences politiques dans leurs pays. Il y a également, du côté des gouvernements européens, trop de laxisme dans le contrôle des flux clandestins.
On vous reproche d'être autoritaire, d'avoir muselé votre opposition, après être venu démocratiquement au pouvoir.
La démocratie au Bénin a été longtemps une façade qui permet au pouvoir de passer de mains en mains, sans ambition ni programme de développement. Il faut préserver le modèle démocratique, sans le mettre au service des jouisseurs et des voyous. Je fais ce constat et j'engage des réformes structurelles à tous les niveaux, avec une lutte implacable contre la corruption. En peu de temps le pays a changé et les résultats sont visibles. Cela requiert de la poigne.
Au point de revenir sur certains acquis démocratiques, comme le droit de grève ?
C'est le sujet difficile de la compréhension de l'expression démocratique dans un pays sous-développé. En France, les gilets jaunes ont été d'une certaine façon un moyen d'expression démocratique. Les Français ont beau avoir élu un Président, ils voulaient que chaque décision aille dans leur sens. C'est l'anarchie ! Mais ce n'est pas très grave quand le pays est construit, quand l'administration est forte et que les écoles existent. Mais un pays dans lequel tout doit être construit, il faut beaucoup de réglementations et de respect des règles. Il faut instaurer le sérieux et la discipline d'une manière durable. Exiger une expression démocratique similaire dans un pays construit et un pays en construction, est un leurre.
Ce que vos ancêtres ont fait en France, pour rendre votre pays aussi riche, c'est travailler dur. C'est ce que les Béninois doivent faire maintenant. Et ils ont commencé !
L.E
|
||||
|
||||
|
||||
|
||||