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INTERVIEW
« Je suis un prince qui ne règne guère »


Devenu en juillet dernier le premier souverain de La Principauté des Baobabs, Max-Savi Carmel a assumé pendant un an la régence de cette micronation du sud du Togo. Comme 400 autres micronations dans le monde, La Principauté des Baobabs est un état qui a toutes les caractéristiques dun vrai pays (armoiries, devise, drapeau, population, parlement, gouvernement, monnaie etc) sans être reconnu ni par la Communauté internationale, ni même officiellement par aucun autre état légal. Le principal objectif dune telle initiative est touristique mais pour le cas despèce, il sagit dun géant projet associatif de promotion de lagriculture, de lécologie et de la solidarité. Et sil considère sa Principauté comme effective, Max Carmel 1er (cest son nom de règne) avoue nêtre en rien le chef dune entité souveraine, insiste sur le fait pour sa micronation dêtre totalement intégrée au Togo, rappelle que le projet ne porte aucune revendication autre que daccompagner le gouvernement togolais dans ses défis agricoles et de répercuter en Afrique lengagement écologique du pape François et surtout, concède être "un prince qui ne règne guère". Le journaliste dinvestigation dorigine béninoise et vivant en France se livre à "Le Matin".

Max Carmel 1er, vous êtes donc à la tête de La Principauté des Baobabs. Vous considérez-vous comme le chef dun état ?

 

Non. Bien loin de là. Dabord, nous ne sommes pas un état, nous sommes une principauté qui ne revendique ni indépendance, ni souveraineté. Nous nous considérons dailleurs et ce, avec fierté, comme des togolais. Au mieux, La Principauté étant comme un petit village, nous sommes le chef de ce village artificiel. Il sagit beaucoup plus dune entité à la fois symbolique et folklorique qui nenvie rien aux états classiques mais naspire pas en être un. Nous sommes une micronation, ce qui nen fait pas moins de nous une vraie principauté. 

 

Doù vous vient lidée de créer une principauté ?

 

De mes lectures et de mes voyages. Dabord, il faut faire la différence entre les micro-états, petits pays reconnus comme le Vatican, Saint Marin, Andorre, Nauru, Liechtenstein ou Monaco qui sont membres de lOrganisation des Nations Unies. Et les micronations qui sont des états virtuels ou aléatoires, souvent trop petits et regroupant des gens hors de tout critères de citoyenneté. Comme journaliste jai visité plus de 2/3 des pays de la planète. Notamment les micro-états. Cela a alimenté mon rêve. Ensuite, de mes lectures. Jai lu des dizaines de livres sur les micronations. Et enfin, de lenvie de faire quelque chose qui sorte de lordinaire, je suis fasciné par linnovation et la différence. 

 

Pourquoi le nom "Baobab", La Principauté des Baobabs ?

 

La Principauté des Baobabs tire son nom du Baobab africain (Adansonia digitata) qui est une espèce de plantes à fleurs du genre Adansonia et de la famille des Bombacacées, selon la classification classique, ou des Malvacées, selon la classification phylogénétique. C'est la plus connue des huit espèces de baobabs. C'est un arbre africain à caudex, très répandu à Madagascar et présent dans presque tous les pays du sud du Sahara. L’espérance de vie du Baobab, jusquà 2000 lan, sa robustesse, sa croissance lente qui lui permet de dominer par sa taille et son diamètre les autres arbres de la forêt sont des caractéristiques qui ont milité en faveur du choix par La Principauté naissante. Aussi, toutes les parties du Baobab sont utiles en alimentation ou en tradi-thérapie tropicale. Au Togo, ses fleurs, ses graines, ses feuilles entrent dans lalimentation, notamment au nord du pays. Ses écosses, ses racines et des fruits sont utilisés à divers usages médicinaux et ses vertus aphrodisiaques font le tour du continent. Longtemps et aujourdhui encore, son tronc sert à construire des bateaux. Toutes ses utilités en ont fait une plante mythique très connus en Afrique. 

 

Quest-ce quune micronation ? 

 

Cest une entité virtuelle, car certaines nont pas de territoire, ou territoriale pour beaucoup, qui fonctionne comme une nation sans être une. Au fait, cest la portion congrue dune nation mais qui dispose de caractéristiques et de signes comme un pays sans en être vraiment un. Une micronation est linitiative dune personne ou dun petit groupe de personnes. 

 

Est-ce quil y a dautres micronations en Afrique ?

 

Oui, la plus célèbre est la République de Kalakuta, fondée au Nigeria par le trop célèbre musicien Féla Kuti. Puis il y a le Royaume de Nord Soudan créé en 2014 par un aventurier américain. Mais la micronation la plus active actuellement sur le continent, cest La Principauté des Baobabs. 

 

Vous considérez-vous tout de même comme un vrai prince ?

 

Bien sûr que oui, jen suis un. La Principauté des Baobabs est une vraie principauté, cest un regroupement de femmes et dhommes qui se sentent liés par un destin, une cause et qui se battent pour des objectifs communs. Ce qui est notre cas et moi je me sens un vrai prince, avec un Premier ministre, un gouvernement et des institutions qui jouent, à léchelle de notre principauté, leurs rôles et missions. Lorganisation des lieux, la structuration, le quotidien de nos populations, léducation, la santé, lagriculture, la protection de lenvironnement, ce sont des réalités sur lesquelles nous exerçons un pouvoir réel dautant que je nomme un gouvernement et peux mettre fin à ses fonctions. 

 

Vous rêvez donc dêtre reconnu un jour ?

 

Non. Cela fausserait tout notre objectif. Nous ne sommes pas un état, nous fonctionnons en imitant des états mais nous restons une organisation associative et participative qui a des objectifs purement et strictement écologiques, agricoles et dune certaine manière, religieux, puisque nous sommes une principauté catholique. Néanmoins, reconnue comme une organisation qui peut, par son passeport, garantir le droit de voyage aux apatrides nous fascinerait. Il y a donc des combats plutôt emblématiques derrière cette posture idéaliste. 

 

Nest-il pas restrictif de se réclamer dune obédience religieuse ?

 

Notre catholicité est un choix et non une contrainte et cela pour plusieurs raisons. La première, nous, nous sommes, à la base, catholiques, nous les fondateurs. La deuxième, notre principale source dorientation est lengagement du pape François pour lenvironnement et sa permanente conciliation entre la foi et lécologie. Et notre troisième motivation est dêtre une société morale dont les principes sinspirent de lévangile et la base de lévangile cest le bien, lamour, la fraternité. Ce sont là aussi nos valeurs. Mais quon soit catholique ou non, on peut appartenir à notre principauté. 

 

Et quelle est votre relation avec létat togolais ?

 

Elle est celle dune association, dun groupe de citoyens avec un état. Nous sommes au Togo, dépendons du Togo, travaillons à faire rayonner touristiquement limage du Togo à linternational et surtout, à contribuer à sa politique agricole, à la lutte pour lautosuffisance alimentaire et nous nous inspirons énormément de la politique agricole du Togo qui est lune des meilleures en Afrique. Le Mécanisme inclusif de financement agricole, Mifa, les agropoles, laccompagnement des initiatives agricoles par létat, etc, sont des initiatives fortes du gouvernement togolais en faveur du monde paysan et par ricochet de toute la population. 

 

Vous avez un drapeau, un gouvernement, une population, une devise, une carte didentité et même une hymne nationale, normal pour une micronation. Mais pourquoi une monnaie ?

 

Pour devancer et servir de lumière, symboliquement, à certains pays (rire). Non. Plus sérieusement, notre monnaie, le digitata a deux objectifs, sortir de lordinaire et pouvoir être vendue pour nous ramener de vraies devises mais aussi puisquà la longue, on ne dépensera que cette monnaie sur nos territoires, léchange du dollar, de leuro ou du franc Cfa en digitata nous permet de réaliser une courte marge en commissions pour financer nos projets sociaux. 

 

Et votre passeport, il ne sert strictement à rien

 

Le passeport baobabien sert énormément, cest un papier didentité, dont la procédure dobtention est rigoureuse et se base sur un document délivré par un état, avec les mêmes données. Cest symbolique et il permet de se sentir comme un pays. Cest un instrument dappartenance à un destin "national" mais en même temps, il se vend. Une grande partie des micronations vendent leurs passeports pour gagner de largent. Ce qui ne mempêche pas, quand je voyage, de présenter un titre de voyage français et un titre de voyage baobabien. Cela fait de la publicité pour nous. Mais il est peu probable de voyager avec notre seul et unique passeport, sauf si les autorités aux frontières ont de lhumour.

 

Que rappelle votre drapeau vert, noir et blanc ?

 

Le vert, dominant rappelle lécologie, lagriculture, lenvironnement. La croix blanche met en relief notre foi catholique et le baobab noir rappelle lAfrique mais aussi La Principauté des Baobabs. 

 

Vous mavez aussi dit au début que pendant votre règne que vous voulez court, vous vous battrez contre le glaucome

 

Oui, puisque jen souffre et cette maladie silencieuse a arraché la vue à mon père. Elle est gravissime comme pathologie et si méconnue en Afrique quil y a de nombreux malades qui signorent. Je veux sensibiliser les populations et faire le plus grand nombre de tests de dépistage. Cest mon principal combat. Pour le règne, je crois que 5 à 10 ans suffisent pour être témoin oculaire de laprès moi, si Dieu le permet.

 

Comment devient-on baobabien ?

 

Simplement en faisant une demande auprès du Ministre détat baobabien chargé de lEquipement et de lIntérieur. Tout simplement. Il y a trois voies dacquisition. Etre né dun parent baobabien, le droit de sang, être né dans une maternité ou un territoire appartenant à la Principauté, le droit du sol et par la naturalisation. 

 

Propos recueillis par Lionel Ebo, pour Le Matin, quotidien béninois



L.EBO
 
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