Candide Ahouanssou
La campagne pour la huitième législature vient de débuter avec la particularité innovante de la bipolarité partisane et, de manière discursive, celle d'une face à face de seulement deux partis politiques tous de la mouvance présidentielle. C'est une première dans notre histoire politique qui devra s'inscrire en bonne place dans les annales nationales d'autant qu'à dire vrai, elle constitue, à bien d'égards, un cas d'école ainsi que nous l'avons estimé dans notre précédente livraison.
En pareille occurrence, l'électeur est acculé à faire un choix cornélien entre deux entités provenant de la même souche dont elles ont, de toute évidence, peine à s'en départir pour mener une campagne sans ombre. La situation se présente telle qu'en phase finale d'une campagne pour l'élection présidentielle et nous sommes fondés à craindre que la confusion se fasse dans les esprits des moins éclairés de la société. En tout état de cause, la réflexion s'invite, quand bien même aux dépens de l'électeur, dans la décision qu'il prendra. Au nom de quel critère vais-je déposer mon bulletin dans l'urne en faveur de tel ou tel candidat provenant de telle ou telle formation et quelles sont ses accointances avec le chef de l'Etat que je soutiens, se demandera-t-il ? Celui pour qui je vais voter, connait-il mes problèmes quotidiens et récurrents ; si je l'envoie à l'Assemblée nationale va-t-il y défendre vraiment mes intérêts ; comment procédera-t-il pour ce faire et de quels atouts dispose- t-il pour arriver à ses fins ; comment voit-il l'avenir de mes enfants et le développement de mon pays ?
LA REALPOLITIK
Tous ces questionnements posent, en définitive, la question de l'idéologie qui devrait, en principe, avoir le vent en pourpre par les temps qui courent quand bien même l'électeur moyen n'en saisirait pas encore la substantifique moelle. Les idéologies défendent des valeurs et en politique les valeurs ne valent leur pesant que lorsqu'elles sont porteuses d'actions concrètes au profit du peuple, autrement elles restent enfermées dans leur sphère philosophique. Habituellement, l'on part de l'idéologie pour engranger des actions ; mais l'idéologie est une nouvelle donne pour le citoyen ordinaire. Alors, les états-majors, qu'ils soient de gauche ou de droite, n'auront assurément pas peine à admettre qu'il leur faudra inverser les priorités et proposer à leurs électeurs potentiels des actions concrètes avant de les amener graduellement et formellement à l'idéologie qui les ont générées. Real politique oblige. Quant à nous, nous choisissons de développer dans la présente réflexion un thème qui, à notre sens, devrait pouvoir retenir l'attention des deux formations en compétition quand bien même l'une se l'est appropriée. Il s'agit de la solidarité et d'une de ses applications concrètes.
. UNE SOLIDARITE FEDERATRICE
Nous sommes un pays de grands décalages sociaux. La fortune d'un tout petit nombre côtoie et passe, sans plus y faire attention, au travers de la misère du plus grand nombre. Si l'on ne peut parvenir à l'équilibre, du moins pourrait-on chercher à minimiser cet état de chose par une politique de solidarité nationale. Et l'esprit de solidarité, au-delà du substantif, est implicitement exprimé dans notre devise par le biais du premier des trois éléments qui la composent : Fraternité. La fraternité vise la concorde des peuples et parait, tout compte fait, une notion statique ; c'est un état d'âme, un sentiment et une aspiration à la jonction des gens ; et pour se réaliser, elle a besoin d'être animée, drainée et entretenue par le vecteur sociologique qu'est la solidarité. Sans solidarité, à quelque titre, il ne saurait y avoir manifestation concrète de fraternité. Moyen de jonction certes, mais la solidarité, ne saurait à son tour se mettre en branle sans l'esprit et le sentiment sous-jacent d'appartenance à une même société, générés par la fraternité. La solidarité renforce ainsi l'idéal patriotique tout en maintenant le sentiment de l'union par l'entraide. Les deux notions sont donc interdépendantes et intimement liées dans une gestion conséquente des affaires publiques dans une société comme la nôtre avec la particularité que la solidarité est facteur de développement. En effet, la fraternité rassemble, mais elle ne construit pas ; c'est la solidarité qui construit ; aussi estimons-nous que fraternité, inscrite dans notre Constitution, et solidarité sont indissociables.
Mais sommes-nous moralement et sociologiquement suffisamment préparés à une politique de solidarité nationale pour en faire cas dans la campagne électorale ?
NOTRE MENTAL EST-IL PREDISPOSE A UNE SOLIDARITE NATIONALE ?
Lorsque nous sympathisons avec quelqu'un dans les liens des épreuves de la vie, nous sommes dans le cadre de la fraternité ; mais lorsque nous lui venons en aide en cotisant pour l'assister, nous tombons dans celui de la solidarité entre individus, il est vrai. Mais la notion de solidarité nationale fait aussi son bonhomme de chemin dans nos esprits. Nous n'en voulons pour preuve que le succès remporté par l'opération des 120 jours pour équiper nos hôpitaux, initiée et rondement menée par la Ministre de la Santé sous le précédent régime. Nous avions saisi l'occasion qui nous était ainsi offerte pour renouveler aux autorités dirigeantes d'alors, notre suggestion de mise sur pied d'une véritable politique de solidarité nationale, mais la volonté politique ne s'était pas manifestée et pourtant l'occasion était belle. Cette initiative des120 jours est restée sans lendemain, déjà oubliée malheureusement comme c'est toujours le cas dans notre pays où nous ne cherchons pas, vraiment, à capitaliser les événements et les acquis. L'opération a cependant eu le mérite de systématiser notre disposition à la solidarité nationale qu'à regret, les autorités n'ont pas su canaliser et ériger en système de gestion ; elles ont loupé le coche. Nous exposons ci-dessous deux autres applications concrètes qui peuvent résulter de la solidarité nationale.
CREATION D'UNE BANQUE TONTINIERE
Nous savons tous ce qu'est la tontine. Nous savons que c'est une épargne populaire avec pour fondement, l'esprit de solidarité, même si la chose n'est pas clairement établie, philosophiquement parlant, dans les esprits des épargnants. Les caractéristiques de la tontine nous paraissent être les suivantes :
- Des citoyens s'organisent pour épargner ensemble, dans les villages, dans les quartiers, entre amis, au bureau ou même à l'école. Autant d'éléments qui caractérisent la dimension sociale de la tontine.
- Elle est donc source de mobilisation de crédits
- La circulation de l'argent lui donne le caractère monétaire
- L'existence de créances et de dettes lui donne la dimension financière
Outre son rôle de support de la fraternité, la solidarité renferme donc sa propre dynamique : elle est porteuse et facteur de développement. Techniquement que faut-il de plus pour penser à en faire une banque solidaire originale d'autant plus qu'une clientèle abondante est assurée d'emblée. Il est vrai que dans leur état actuel, les tontines présentent des insuffisances
- Elles fonctionnent avec des règles extrêmement souples et des modalités tant variées que disparates.
- Chaque tontine est une aventure qui ne ressemble guère à aucune autre. Et des fois, elle se termine mal notamment quand un tontinier disparait avec les fonds rassemblés ou quand un membre du groupement ne tient pas ses promesses.
- De plus, le paramètre lieu de résidence tient une grande place dans le bon fonctionnement de la tontine. Au cas où un membre change de résidence, la tontine s'en ressent.
En dépit de tous ces aléas auxquels une bonne étude de faisabilité et une bonne organisation pourront remédier aisément, la tontine mérite d'être institutionnalisée en acquérant le statut d'une banque solidaire ou, tout au moins, d'une institution de financement solidaire ; une première qui fera, à n'en pas douter, des émules dans la sous-région. Elle promouvra le commerce local dans des conditions que n'autorisent guère les banques d'affaires de la place avec des intérêts et des agios hors de portée des populations. Elle améliorera le bien-être des citoyens qui ne peuvent faire des prêts dans les banques classiques. Pourquoi ne pas mieux organiser ce qui est nôtre et en tirer le meilleur parti en marge de ces banques classiques, répondant aux coutumes et aux aspirations de nos populations ? Une idée de campagne qui pourrait bien faire mouche à droite comme à gauche.
Candide Ahouanssou