De l'histoire politique du Dahomey au Bénin, jamais un parlement n'aura été aussi contesté et combattu que celui qui a été élu le 28 avril 2019.
La semaine écoulée, le Président de la septième législature convoquait les députés de la huitième législature à remplir les formalités en vue de leur installation. Il en est ainsi parce que, malgré toutes ses réserves, Me Adrien Houngbédji n'avait aucun moyen constitutionnel, légal et/ou politique d'empêcher tout seul, en tant que Président de l'Assemblée nationale, cette installation, surtout depuis la proclamation par la Cour Constitutionnelle des résultats des élections législatives du 28 avril dernier.
Dans la foulée, se posera ou se pose déjà la question de l'occupant du perchoir.
Le contrôle du perchoir étant un enjeu de pouvoir, aucun président de la République ne peut rester indifférent à l'occupant du perchoir. Tout chef d'Etat combat le contrôle du perchoir et du bureau de l'Assemblée nationale par un ou plusieurs opposants. Cette préoccupation comporte moins d'enjeu et de risque pour le Président Patrice Talon face à un parlement sans opposition et sans opposants.
Le choix se fera donc entre un mouvancier du Bloc Républicain et un mouvancier du Parti Progressiste.
Au regard de l'importance stratégique que revêt ce poste, le choix devrait être guidé par des critères tenant à la personnalité intrinsèque du futur titulaire de la fonction et au respect de l'équilibre régional.
En ce qui concerne la personnalité politique, la situation politique tendue dans laquelle se trouve notre pays actuellement appelle au choix d'une personnalité intègre et consensuelle, qui saura faciliter le débat de la réconciliation politique dont le pays a besoin pour panser ses plaies consécutives aux élections législatives du 28 avril 2019.
Ce Président de l'Assemblée nationale, devrait avoir une envergure telle qu'il soit capable de garantir, au regard des équilibres institutionnels, l'indépendance du législatif vis-à-vis du pouvoir exécutif. C'est un gage important pour le retour de la confiance tant au niveau national qu'international.
L'autre aspect déterminant dans le choix du Président de l'Assemblée nationale est celui de l'équilibre régional.
L'équilibre régional pour ne pas dire ethnique n'est inscrit dans aucune constitution. C'est pourtant une règle ou une norme non écrite que tente de respecter les dirigeants notamment les autorités de nomination.
La stabilité du pays résulte en grande partie de cette tradition dans le système politique, qui veut que lorsque, le Président de la République a ses origines dans le Nord du Bénin, que celui de l'Assemblée Nationale ait les siennes au Sud, ou dans une autre région du pays. Sans le proclamer, les Béninois sont très attachés à ce principe qui limite les susceptibilités et les frustrations. C'est d'ailleurs dans ce schéma que le pays a vécu avec harmonie pendant 20 ans entre 1996 et 2016. Sous la présidence de Mathieu Kérékou, ce sont Bruno Amoussou, Adrien Houngbédji et Idji Kolawolé, qui ont occupé les fonctions de président du parlement. La tradition s'est poursuivie avec Boni Yayi, qui a composé avec Mathurin Nago et Adrien Houngbedji. Même du temps de la révolution, la présidence de l'Assemblée Nationale Révolutionnaire a pendant très longtemps été assurée par Romain Vilon Guézo. L'élection du Président Talon en mars 2016 a modifié cet équilibre que les législatives du 28 avril donnent l'occasion de rétablir.
Les candidats potentiels ne manquent pas. En effet, plusieurs figures emblématiques de la politique béninoise issues du Nord vont siéger dans la 8ème mandature de l'Assemblée Nationale. Dans le camp des Républicains, on retrouve Abdoulaye Bio Tchané ou Robert Gbian. Dans le rang des Progressistes, Sacca Lafia ou encore Alassane Seidou sont en vue. Si l'ancien directeur de campagne du candidat Patrice Talon devenu ministre de l'Intérieur a ses chances, il ne faut pas sous-estimer celles du seul Ministre d'Etat sortant. En effet, tout étant politiquement possible rien juridiquement ne s'oppose à ce qu'un député issu du parti minoritaire tel que le Bloc Républicain puisse être élu président de l'Assemblée nationale.
Les candidats auront jusqu'à une heure avant le scrutin pour se dévoiler ou confirmer leur candidature. Aux termes de l'article 82 de la Constitution du 11 décembre 1990 et de l'article 15-1 du règlement intérieur de l'Assemblée, le Président est élu au scrutin uninominal, secret et à la tribune. Si pour les deux premiers tours, il faut la majorité absolue des suffrages, au troisième tour organisé entre les deux challengers arrivés en tête, la majorité relative suffit et, en cas d'égalité des suffrages, le plus âgé est élu. Le caractère secret du vote pourrait réserver des surprises, toutes les combinaisons sont donc possibles.
Somme toute, le charisme du prochain titulaire de la fonction est cardinal, mais le principe de l'équilibre ethnico-régional, ciment fondamental de l'unité nationale, est tout aussi important, pour faire du prochain président de l'Assemblée Nationale une figure respectée sur l'échiquier national et international.
Baraka, Cotonou, le 12 mai 2019.
Pr Ibrahim D. Salami
Professeur Titulaire des Universités
Agrégé des facultés de droit
Avocat.
Prof Ibrahim Salami