Il y a maintenant plusieurs décennies que la colonisation du Bénin a pris fin. Notre ami gaulois nous a quittés avec ses bagages et ses armes encore fumantes. Certains disent (ô quelle irrévérence !) que l'ami n'est pas parti en réalité. Il aurait plutôt fait semblant de partir et se serait tout simplement caché dans le feuillage de notre palmier pour mieux nous observer et tirer au besoin nos ficelles d'indécrottables marionnettes.
Mais ce qui intéresse ici, c'est de savoir quelle culture il a laissée sur place. Est-ce toujours celle des contes et des danses au clair de lune, ou plutôt celle du costume cravate et du français impeccable, ou encore celle d'un produit hybride et métissé à souhait pour mettre tout le monde à l'aise ? Voilà quelques éléments du regard interrogateur que je porte sur ce qu'on appelle : « notre » culture aujourd'hui sans oublier de dire un mot sur sa gestion au quotidien par les politiciens et les fonctionnaires d'Etat.
Sujet éculé ?
Lorsque l'on aborde des thèmes comme celui qui fait l'objet de notre réflexion de ce jour, on éprouve un arrière-goût de « déjà vu », car le sujet a été tellement évoqué et remué dans tous les sens que l'on se demande soi-même ce qu'on pourrait apporter de nouveau, si ce n'est ce qu'on a appris de son professeur de français ou des grands débatteurs qui sont légion dans le pays.
Mais la vérité est que ce n'est pas parce que nous avons regardé notre visage au miroir une fois que nous n'allons plus jamais répéter ce geste. Ce n'est pas parce qu'on a parlé mille fois de notre culture qu'on devrait croire l'avoir désormais fichée ou figée quelque part comme une pièce de musée ou une denrée alimentaire conservée dans une glace polaire. Non ! La formule métaphysicienne du « il n'y a rien de nouveau sous le soleil » n'a pas droit de cité dans le domaine de la culture. En effet, tout comme le visage qui passe au miroir plusieurs fois dans la journée, la culture est vie et évolution constante. Elle est formation, transformation, déformation, etc. Il faut donc lui trouver une place non loin du miroir, afin qu'elle soit observée et analysée à chaque instant. C'est en tout cas cette logique qui fonde ma méthodologie.
Quelle est la culture du Bénin ?
Cette question n'est ni un piège, ni un attrape-nigaud, encore moins un casse-tête béninois. C'est une question bien connue et qui fait l'objet de temps à autre de débats. En effet, certains estiment que le Bénin n'a pas une culture mais plutôt des cultures. C'est une mosaïque de cultures. Effectivement, si l'on tient compte des dizaines et des dizaines d'ethnies recensées dans notre pays et des différences nettes entre certaines coutumes, on peut se dire qu'il ne faut pas mélanger torchons et serviettes ; qu'il ne faut pas confondre ceux qui dansent en avançant à ceux qui dansent en reculant ; qu'il ne faut pas confondre la culture des braves amazones à celle des braves cavaliers, etc.
Je ne m'oppose pas mordicus à ceux qui pensent peut-être ainsi car je ne crois pas détenir la vérité infaillible et éternelle. Mais je pense que la culture d'un pays ne saurait être du saucisson. Lorsque l'on commence à en faire ça, on se rend compte que les morceaux saucissonnés ont encore des contradictions en leur sein. On continue alors à casser, à saucissonner. Finalement, on se rend compte que les différences et les contradictions sont plus profondes qu'on ne le croyait.
Je cite un seul exemple concret. Je pose la question suivante : qui parle aujourd'hui la langue fon au Bénin ? Est-ce l'homme de Ouidah ou celui d'Abomey ? Supposons que quelqu'un réponde que ce sont les Aboméens qui parlent le vrai fon pur du terroir. Plusieurs milliers de Fon de Ouidah et d'ailleurs sont ainsi éliminés. Mais entre les Aboméens qui sont restés toute leur vie au terroir sans pratiquement aucun contact avec la langue française et nous qui avons appris le français et qui sommes d'ailleurs restés longtemps loin du terroir, la langue fon n'est plus la même ! Nous sommes donc aussi écartés. Maintenant, entre les « Fon purs » ainsi retenus, d'autres micro-problèmes vont se poser : la question des accents, la provenance des ancêtres de certaines familles, la connaissance des proverbes et des chansons historiques du terroir, etc.
En fin de compte, ceux qui se diront « vrais Fon » seront une misérable minorité incapable de porter sur ses fragiles épaules toute la richesse du patrimoine fon qui doit se diversifier et rayonner au Bénin et dans le monde.
Il en est de même des autres langues et ethnies. On parlera des Baribas à cicatrices et de ceux qui n'en ont pas, des Ouidaniens descendants d'Aboméens et de ceux portant des noms portugais, etc. On conclura que le folklore « bourignan », n'est pas une musique béninoise car importée du Brésil. On avancera que le culte «Egungun » ou « Kouvito » est venu du Nigeria et n'est donc pas de la culture béninoise, etc. Pour éviter ces genres de fondamentalismes culturels, il s'agit de considérer que tout peuple a une seule culture avec sa diversité qui n'est pas un Mur de Berlin mais plutôt une richesse. Cela est valable aussi bien pour le Bénin avec ses neuf petits millions d'habitants que pour la Chine où vit le quart de la population mondiale.
La gestion de la culture en question
Dans toute mission confiée à un être humain, sa propre personnalité (caractère, goûts personnels, profession, religion,) déteint forcément sur la façon dont il l'accomplit. L'histoire du département ministériel en charge de la culture nous révèle deux choses principales : primo, il a souvent été confié en remerciement à des politiciens qui ne peuvent servir nulle part ailleurs ou qui ont échoué ailleurs. Secundo, ce ministère a souvent été mis avec la jeunesse, les sports, les loisirs, le tourisme, l'artisanat, la communication, etc.
Lorsqu'un ministre a tout cela à gérer au même moment, il fait souvent des choix en fonction de sa personnalité dont j'ai parlé plus haut. C'est même parfois instinctif et involontaire. Il se fait un bon porte-parole du gouvernement, un bon promoteur du sport ou du tourisme, etc. Mais il est rare que nous trouvions à la tête de ce département quelqu'un qui respecte les artistes et fait du développement artistique sa priorité numéro un. Les artistes ont souvent eu cette malchance et ruminent leurs déceptions dans les cercles où ils se réunissent. A titre d'illustration, rappelons que la simple installation du Conseil national des Arts et de la Culture a connu onze ans de retard. Et depuis que le ministre qui l'a installé est parti en 2002 ou 2003, ce conseil est enterré. Pourtant, cette structure est prévue par une loi de la République et avait permis un dialogue utile en son temps entre l'Etat et les acteurs culturels de la société civile organisée, au lieu des incompréhensions et des insultes par médias interposés que l'on constate souvent.
Certains ministres ne connaissent que la musique comme art. Dès qu'ils arrivent, ils s'entourent d'un petit cercle de nos frères musiciens et partagent avec eux tous les avantages du département ministériel. Or, dans le domaine des arts, il y a aussi les cinéastes, les écrivains, les plasticiens, les comédiens, les danseurs de ballet, les acteurs du patrimoine, etc. On entend chaque année les plaintes des associations d'écrivains, des cinéastes, des journalistes culturels, des plasticiens, des patrons du patrimoine, etc.
Les Chefs d'Etat du Bénin doivent arrêter d'envoyer les ennemis de la culture à la tête du département de la culture.
Entre artistes de toutes les disciplines et acteurs gouvernementaux, un dialogue fraternel doit s'instaurer et que le partenariat ne soit plus ce que nous avons toujours déploré, c'est-à-dire les injustices autour de l'argent, des missions à l'extérieur et autres avantages. L'objectif doit-être le rayonnement culturel réel de notre pays. Cela mettra un terme à l'échec des différents festivals et autres manifestations pour non-déblocage de fonds, retards de déblocage de fonds, complicités sur base ethnique, partisane, ou de copinage dans la gestion du bien commun.
Poursuivre le débat
Je conclus en disant que je ne suis pas sûr d'avoir bien présenté tout ce que j'avais annoncé dans mon titre et dans mon introduction. Mais nous savons maintenant que la culture nationale est unique malgré son caractère de mosaïque fortement bariolée. J'ai répondu à la question « pour quel Bénin ? » en disant que tous les Béninois sont culturellement égaux, qu'ils soient descendants de rois ou d'esclaves. Et j'ai terminé en disant que les artistes, principaux acteurs de la chose culturelle ne laisseront jamais la culture se gérer sans eux et contre eux, et que pour cela, il est urgent d'instaurer un dialogue fraternel entre eux et leurs partenaires gouvernementaux comme dans d'autres ministères où le partenariat entre Etat et société civile est bien réussi.
C'est un débat qui, je l'espère, s'enrichira avec les contributions et même des sons de cloche différents de ma façon de voir les choses.
DENIS AVIMADJESSI