Lorsqu'est survenue une crise socio politique de l'ampleur et de l'acuité de celle que nous venons de vivre, ayant écorché et objectivement mis en péril notre jeune démocratie, la sagesse politique demande d'en faire le point de manière sereine, d'en prendre de la graine afin de contrer dorénavant sa répétition. Ne pas s'adonner à telle tâche et poursuivre la route comme si de rien n'avait été, n'aurait rien d'autre que de téméraire, en termes de bonne gouvernance.
Pour parler net tout en nous mettant à l'abri du périlleux exercice qui consisterait à déterminer les raisons profondes, les causes réelles, les tenants et les aboutissants de cette crise que nous continuons de mal vivre, nous nous contenterons de nous référer à la loi fondamentale pour essayer de déterminer comment elle aurait pu nous éviter cette douloureuse parenthèse qui n'a pas fait honneur à notre pays. Considérant sa teneur, la loi fondamentale ressort généralement des us et coutumes, ainsi que des données sociologiques d'un peuple, tandis que sa mise en forme, sa rédaction, la logique qui soutend sa trame ainsi que son interprétation, le cas échéant, reviennent aux constitutionnalistes ; nous devrions en convenir. Or, sauf déficit d'appréciation de notre part, la Constitution de 1990 qui nous régit était intervenue à un moment où nous n'avions pas encore connu ni expérimenté des situations politiques spécifiques qui auraient pu inspirer les constitutionnalistes ; de manière discursive, elle était restée dans le schéma classique des démocraties occidentales, au demeurant, sans qu'elle ait pris en compte la moindre de nos pratiques, la moindre de nos institutions traditionnelles. Il est, alors, de notre opinion que les réalités politiques que nous venons de vivre devraient les inciter, eux ainsi que les autorités faitières, à réaménager notre Constitution plongeant, un tant soit peu, ses racines dans notre environnement sociologique, si tant est que sa révision est toujours d'actualité.
Réalités politiques mise à jour par la crise et éligibles à notre Constitution
Nous pouvons nous permettre de dire que la crise socio politique que nous venons de vivre nous a présenté un tableau d'événements inédits dont la prise en compte par la Constitution devrait assurer qu'elles ne se reproduisent point. N'en déplaise à ceux qui rétorqueront qu'on ne peut quand même pas tout mettre dans la Constitution et que ce que nous proposons s'y trouve implicitement. Mais alors que l'implicite n'est pas respecté, peut-être conviendrait-il, conséquemment, de le rendre explicite afin que le profane et le peuple sache bien de quoi il retourne. Nous trouvons cependant à redire à l'idée qui a circulé un instant pendant que la crise était à son comble, d'inclure dans la loi fondamentale la participation obligatoire des partis de l'opposition à toutes les élections bien qu'elle ait été la pomme de discorde. En effet, nous sommes dans un système démocratique garanti par la Constitution et il va de soi que la participation de tous partis politiques régulièrement constitués aillent à toutes les consultations électorales pourvu qu'ils satisfassent aux prescriptions de la loi y relative. Autrement légitime recours sera fait à la Cour constitutionnelle. Point n'est donc besoin d'inclure une telle disposition dans la Constitution.
Il ne saurait en être de même en ce qui concerne la situation des anciens chefs d'Etat dans la vie de la nation, eux qui, paradoxalement, ont été le fer de lance de la résistance à la procédure électorale en vue de la huitième législature. En effet, il s'est fait que l'opposition ouverte et agissante, en l'occurrence, a été conduite, tambours battant, par les deux prédécesseurs immédiats du chef de l'Etat en exercice. Et lorsque l'on parcourt de part en part, les articles de notre Constitution, réservés à la fonction présidentielle l'on n'y trouve aucune disposition les concernant, qui règle leur statut une fois déchargés de leur fonction de chef d'Etat. La Constitution, si je puis m'exprimer ainsi, les a laissés dans la nature comme n'importe qui d'entre nous, ne leur confiant aucun rôle qui leur permette de continuer de s'intéresser aux affaires publiques sans interférer, toutefois, de manière aussi frontale que brutale comme récemment, dans la conduite des affaires publiques dont est seul responsable le chef de l'Etat en fonction.
Dans la loi fondamentale, l'on n'y trouve aucune disposition qui, dans l'intérêt de la nation, les dissuade d'adopter des attitudes hostiles envers leur successeur ; rien qui leur prescrive l'obligation de réserve pendant un certain temps consécutif à la fin de leur mandature, rien qui leur interdise d'entraver les actions du Chef de l'Etat en exercice, de quelque manière. Alors, et sans préjudice du bon jugement, de quoi nous plaignons nous devant les évènements de naguère, d'autant que nous avons connu un antécédent qui n'a suscité aucune réaction de quiconque et qui, par voie de conséquence, avait laissé la porte ouverte à la récidive.
Menace de jadis à l'unité nationale
Quand surviennent pour la première fois des événements qui menacent de quelque manière l'unité nationale et que l'alarme n'est pas donnée, la lézarde se crée dans laquelle a tendance à s'infiltrer toute dérive politique et sécuritaire susceptible d'affecter l'intégrité nationale ; et c'est bien la rançon d'une telle éventualité que nous venons de vivre. La situation a déjà été suffisamment confuse pour que nous ne cherchions pas à en rajouter en ravivant des souvenirs que nous aurions aimé être enterrées pour toujours ; mais l'histoire est têtue et elle nous rattrape toujours pour nous permettre de comprendre le présent. Aussi nous appartient-il de rappeler au citoyen lambda à qui fait souvent défaut la mémoire de l'histoire, que nous avons connu dans ce pays un ‘'entretien à coeur ouvert''. Ce fut en 2012 si nous ne nous abusons, où sur fond de tensions multiples dont celle avec l'actuel chef d'Etat encore en exil, qui ont tenu le peuple en haleine pendant trop longtemps, le chef de l'Etat d'alors, excédé par les situations et les critiques qu'il subissait de toutes provenances, avait tenu des propos, il faut bien le reconnaître, incendiaires qui avaient, sans conteste, menacé l'unité nationale.
Et pourtant, qui des politiques d'alors avaient levé le petit doigt pour stigmatiser et dénoncer cette dérive du Chef de l'Etat ; laquelle des institutions s'en était autosaisie ? Tous, nous nous étions tassés, la peur au ventre en attendant que l'orage passe ; et nous chuchotions néanmoins qu'il s'agissait bel et bien d'un manquement au serment prêté par le Chef de l'Etat susceptible d'être qualifié de trahison. Rien n'ayant été entrepris pour contrer ni décourager ce genre de choses, il avait toutes les chances de se reproduire et ce n'était pas par manque d'arsenal juridique.
En effet, la Constitution ne dispose-t-elle pas en son article 41 que le Chef de l'Etat est garant de l'intégrité nationale ? En son article 53 portant prestation de serment, n'est-il pas dit qu'il consacrera toutes ses forces à la recherche de la promotion de la paix et de l'unité nationale ? L'article 73 ne dispose-t-il pas que la responsabilité personnelle du président de la République est engagée en cas de haute trahison ? Et l'article 74 nous précise qu'il y a trahison lorsque le Président de la République a violé son serment. Nous savons par ailleurs, qu'en cas de trahison il ne peut être jugé que par la Haute Cour de justice selon les dispositions de l'article 136 après la levée de son immunité par une majorité renforcée des deux tiers des députés et l'instruction par les magistrats de la chambre d'accusation de la cour d'appel. Il est vrai que l'article 138 précise que le président de la République est suspendu de ses fonctions en cas de mise en accusation.
L'arsenal juridique ne fait donc pas défaut, mais il demeure qu'il engage toute une procédure qui peut cependant se justifier de la manière suivante. C'est le peuple qui a élu le Président de la République et il lui revient, le cas échéant, de le livrer à la justice pour cause de haute trahison. Mais, en démocratie représentative que nous sommes, il délègue aux députés sa capacité d'ester en justice contre le Président de la République ; cependant que la procédure est longue et incertaine. Mais alors que faire ? Peut-être nos constitutionnalistes pourraient-ils jeter un coup d'oeil du côté de la procédure de l'impeachment des pays anglo-saxons qui donne pouvoir au législatif de destituer le chef de l'Etat sans plus d'autre considération. Et pourquoi pas ? Après tout, c'est le peuple qui a élu le président de la République et en vertu du principe du parallélisme des formes, ce peuple est habilité à le destituer de son propre chef par le biais de ses représentants sans que ces derniers soient astreints à passer par la Haute cour de justice ; l'essentiel étant que le caractère trahison des actes du président de la République soit établi par le jurisconsulte.
De la menace de jadis à la menace de naguère de l'unité nationale
Nous enfonçons certainement une porte ouverte en rappelant qu'en fait la résistance ouverte des deux anciens chefs d'Etat contre le chef d'Etat en fonction via la contestation de la procédure des élections législatives, s'explique difficilement. En effet, lorsque vous avez eu l'honneur d'avoir été désigné par le peuple entier qui vous a donné procuration pour gérer sa destinée, ne serait-ce que pendant une mandature, lorsque vous avez eu la lourde charge de connaitre tous les problèmes de la nation que vous avez dirigé ainsi que tous les secrets de sa gestion, lorsque les citoyens vous paient des indemnités d'anciens chefs d'Etat, il ne nous parait pas convenable que, pour quelque prétexte que ce soit, vous vous mettiez personnellement en conflit ouvert et frontal avec celui qui vous a succédé, sans préjudice toutefois de votre droit à la libre expression dans les bonnes règles bien entendu. Aller jusqu'à lui donner un ultimatum et se laisser soupçonner, à tort ou à raison, de fomenter des violences sur le territoire national !!! En tout état de cause, pour faire barrage à ce genre de situation, nous devrions envisager de promouvoir l'idée d'un gentlemen's agreement entre les présidents entrants et sortants. L'Assemblée nationale pourrait bien faire cette recommandation à défaut d'une loi. Et que l'on ne nous oppose surtout pas que son rôle constitutionnel n'est que de légiférer.
Impeachment et gentlemen's agreement sont des procédures anglo saxonnes, il est vrai, mais rien ne nous empêche de les adopter si elles répondent à nos préoccupations. Le monde s'internationalise, s'universalise et se rapproche ; et il n'y a pas de raison que nous ne tirions pas le meilleur de ce qu'ont les autres sans autre considération collatérale.
Notre Constitution a laissé dans la nature les anciens chefs d'Etats et cela ne nous parait pas indiqué. Peut-être ne se seraient-ils pas lancés dans cette aventure s'ils avaient été statutairement liés d'une manière ou d'une autre à la gestion de la cité. Mais comment y procéder ?
Les points de chute possibles de nos anciens chefs d'Etat
Dans certains pays, ils sont nommés sénateurs à vie ; et nous n'avons pas de sénat qu'au demeurant, nous avons appelé de tous nos voeux dans une précédente livraison. Dans d'autres, ils sont nommés dans des institutions comme le Conseil d'Etat en France ; une instance qui, chez nous, pourrait prendre avantageusement la place du Conseil Economique et Social. Un Conseil d'Etat rendrait assurément meilleur service au gouvernement et à la nation. C'est notre point de vue en tout cas, et nous nous la sommes faites en toute connaissance de cause.
Au reste, les anciens présidents de la République ne pourraient-ils également trouver leurs places dans la Grande médiation de la République que nous appelons également de tous nos voeux depuis un certain temps déjà ? Nous rappelons, une fois de plus, que la médiation de la République en opération actuellement est une institution purement administrative sans aucune parcelle de pouvoir politique et qu'elle ne peut juridiquement être mêlée, à quelque titre, au règlement des problèmes à caractère politique. La grande médiation de la République que nous proposons sera dotée d'une autorité et d'une compétence politiques où pourraient siéger entre autres, nos anciens présidents de la République et nos anciens présidents de l'Assemblée nationale, ainsi que nous le suggérons également depuis longtemps déjà.
Pour apporter de l'eau à notre propre moulin, nous voudrions relever que l'intervention, on ne pouvait plus apaisante et rassurante des trois anciens présidents de l'Assemblée nationale au cours de la crise ont valu plus que toute autre action médiatique. Convaincante et rassurante, elle l'a été d'autant plus que les conférenciers ne briguaient pas de poste de députés. C'était à l'image de ce que pourrait être la grande médiation de la République.
Dans une telle institution, nos anciens chefs d'Etat encore parmi nous, entre les mains de qui a reposé pendant une quinzaine d'années notre destinée et celle de toute une nation n'auront, tout le restant de leur vie, l'occasion de jamais s'opposer au chef de l'Etat en fonction de manière aussi brutale qu'insolite.
Nos souhaits
Nous ne sommes pas homme politique et nous nous défendons de l'être. Mais l'adage populaire dit que si vous ne la faites pas, la politique vous fera finalement. Alors nous nous permettons de nous adresser non pas aux trois aux chefs d'Etat ; nous n'en avons ni l'étoffe ni l'envergure, mais à ceux que nous avons envoyés à l'Assemblée nationale pour nous représenter. Il conviendrait que nos Honorables réalisent que c'est pour qu'ils soient élus que nous avons connu toute cette crise et tout le stress y afférent ; il sied qu'ils réalisent que les fauteuils qu'ils occupent sont chargés d'une histoire et de sacrifices de concitoyens s'étant malencontreusement retrouvés à un endroit et à un moment qu'il ne fallait point ; ils devront se faire à l'idée que le peuple les suivra de très près comme ils n'ont été jamais suivis et qu'il n'hésitera plus à dénoncer toute action et tractations illicites de leur part dont il sera au parfum.
Ils ne sont que deux partis à l'Assemblée nationale avec l'avantage de se prévaloir, chacun, d'une idéologie bien définie. Chacun devra alors jouer sa partition et si ce n'était pas le cas nous n'aurons de cesse que de le dénoncer vigoureusement ; ce pays appartient bien à nous tous. L'Union progressiste se devra de faire une politique de gauche. Le parti républicain fera sa politique de droite en privilégiant les capitaux. Et l'on sait que l'on ne peut faire du social sans des capitaux. L'Union progressiste est majoritaire et nous ne comprendrons pas qu'un projet de loi qui n'est pas suffisamment social passe le niveau de l'Assemblée nationale.
Ambassadeur Candide Ahouansou