La monnaie nigériane
De retour du Nigéria, le 02 août 2016, le Président de la République, Patrice Talon, a annoncé la détermination de son homologue nigérian d’interdire la réexportation des produits non nationaux et non régionaux sur son territoire pour encourager les relations sud-sud. Sachant que la plupart des entreprises béninoises sont dans l’import-export, la dépréciation du Naïra aide déjà le Gouvernement nigérian à décourager ses compatriotes qui viennent faire leurs affaires au Bénin. Donc, elle favorise le Nigéria au détriment du Bénin.
« Vous savez qu’une bonne partie des activités commerciales du Bénin, les produits, sont en réexportation vers le Nigéria. Nous sommes dans une situation complexe, parce que le Bénin a besoin de vendre des produits made in Bénin, made in Cedeao sur le Nigéria de manière libre. C’est ce que prescrivent les dispositions de la Cedeao. Les produits interdits d’exportation vers le Nigéria ne transitent pas aisément par le Bénin de sorte que notre pays ne soit pas vu comme complice… », a déclaré le Président de la République, Patrice Talon, de retour du Nigéria. Il a réaffirmé la détermination de son homologue nigérian, Mouhamadou Buhari, de réguler le commerce entre son pays et le Bénin par l’interdiction de la réexportation sur son territoire des produits importés. Donc, avec la dépréciation du Naïra, le problème est naturellement réglé par les autorités nigérianes, puisque des opérateurs économiques n’arrivent plus à Cotonou et environs comme par le passé.
Il faut signaler que de telles mesures avaient été prises par l’ancien Président nigérian, Olusegun Obasanjo contre le Bénin sous le régime de feu Général Mathieu Kérékou. Il avait même interdit la réexportation sur le Nigéria des véhicules de plus de cinq ans d’âge. Mais, cela n’a pas prospéré dans la mesure où les marchandises entrent dans son pays par des voies détournées (la contrebande) en complicité avec les forces de l’ordre nigérianes corrompues. Comparaison n’étant pas raison, ce serait difficile d’imaginer encore de tels échecs des autorités nigérianes dans leur lutte contre le trafic illicite des produits importés dans leur pays. Mouhamadou Buhuri n’a plus besoin de se gêner pour maîtriser la contrebande au niveau de ses frontières. De là, ce sont de grandes difficultés qu’on crée aux entreprises béninoises en grande partie spécialisées dans l’import-export. Elles sont beaucoup plus perceptibles dans les secteurs des véhicules d’occasion, du textile, des produits congelés et alimentaires importés de l’Occident et déversés sur le territoire nigérian.
Toutefois, ces mesures peuvent permettre aux Béninois de dynamiser leurs secteurs d’activités. On doit beaucoup plus investir dans la production que dans la réexportation, afin de satisfaire le marché nigérian. Seulement, il n’y a pas les moyens à court terme pour répondre aux exigences des autorités nigérianes. Au Bénin, c’est dans le secteur agricole qu’on produit plus des devises. Mais, les entrepreneurs béninois ont-ils les moyens de leur politique ? C’est cela la grande question. C’est le moment pour le Gouvernement d’accompagner les entreprises. Donc, la morosité économique a encore de beaux jours devant elle.
RELIRE LES PROPOS DU PRÉSIDENT PATRICE TALON
Nous n’avons pas réussi à respecter cette tradition, parce que les contraintes de calendrier n’ont pas permis ni à moi-même, ni au Président Buhuri, d’organiser cette visite depuis bientôt trois mois. Aujourd’hui, c’est chose faite. Je rappelle que j’ai été au Nigéria lors d’un sommet sur l’insécurité. Cette fois-ci, c’est dans le cadre de nos relations bilatérales. Donc, j’ai été à Abuja dans le cadre d’une visite de courtoisie, de fraternité et de travail. Nous avons essentiellement changé sur quatre points. Le premier est relatif à l’insécurité. Le Nigéria et le Bénin sont dans une zone d’insécurité où Boko Haram est une réalité inquiétante. C’est vrai que les efforts sont en cours. Les efforts personnels du Nigéria sont en train d’avoir des résultats. Il faut s’en féliciter. Nous avons abordé des points de convergence et de la lutte contre l’insécurité et le terrorisme.
Nous avons évoqué également un sujet d’échanges entre le Nigéria et le Bénin. Au plan commercial, je dois avouer que la situation internationale et la situation du Nigéria par rapport à l’effondrement des prix du pétrole causent quelques déconvenues à nos populations en termes de pouvoir d’achat du côté du Nigéria et en termes d’échanges du côté du Bénin. Vous savez qu’une bonne partie des activités commerciales du Bénin, les produits, sont en réexportation vers le Nigéria. Nous sommes dans une situation complexe parce que le Bénin a besoin de vendre des produits made in Bénin, made in Cedeao sur le Nigéria de manière libre. C’est ce que prescrivent les dispositions de la Cedeao. Les produits interdits d’exportation vers le Nigéria ne transitent pas aisément par le Bénin de sorte que notre pays ne soit pas vu comme complice. C’est un sujet qui appelle une analyse assez délicate parce qu’il faut non seulement fouetter les échanges entre les deux pays, mais également à ce que les dispositions de la Cedeao soient respectées. Nous avons évoqué cette question parce qu’il est regrettable de constater que nous produisons beaucoup au Bénin du côté agricole, nous avons des industries ici qui ont besoin de vendre au Nigéria et qui souffrent. Nous enregistrons des tracasseries qui ne permettent pas la libre circulation qui doit exister entre les deux pays. En évoquant ces questions, nous allons essayer de trouver les voies et moyens pour y arriver. Nous avons aussi examiné la question qui préoccupe le Nigéria. Le Président Buhuri a exprimé avec beaucoup de détermination le commerce illicite avec le Nigéria. Toujours est-il que dans l’intérêt commun, il convient d’œuvrer à ce que notre pays produise davantage et échange des produits fabriqués dans la région de sorte que cela concourt à la création d’emplois et la richesse dans notre pays au lieu de se contenter exclusivement de promouvoir les importations et le transit. Sur ce chapitre, je dois dire que le Nigéria a promis de donner les instructions nécessaires à ses services à savoir la police et la douane, afin que les échanges soient facilités entre le Bénin et le Nigéria en ce qui concerne le commerce légal, normal qui relève de nos acteurs sous-régionaux.
Nous avons évoqué les problèmes d’énergie. Vous savez que cela reste une préoccupation majeure. Le Nigéria a également des problèmes d’énergie. Nous nous sommes félicités de la décision du Nigéria de nous fournir de l’énergie dont nous avons besoin, malgré ses problèmes. Nous avons un accord qui est en cours à la Ceb qui souffre de quelques problèmes de règlement de factures en retard. Nous avons évoqué ensemble comment apurer ces factures-là et permettre à ce que la fourniture d’énergie du côté du Nigéria se fasse de façon régulière. Toujours sur ce chapitre, il a été question de voir dans quelle mesure vis-à-vis du Bénin, le Nigéria pourrait faire d’effort pour que le volume d’énergie soit augmenté. Nous avons également discuté d’un point non moins important, c’est l’approvisionnement en combustible. Le Bénin utilise beaucoup le gasoil pour ses centrales thermiques. Cela nous coûte excessivement cher. Nous ne pouvons pas continuer à espérer que la fourniture d’énergie se fasse exclusivement avec ce combustible. Notre espoir est de trouver du gaz, un jour, pour rentrer dans le champ des pays qui produisent de l’énergie à bon coût, à coût acceptable. Il nous faut trouver une source d’approvisionnement qui nous permette de produire de l’énergie à bon prix. Le Nigéria qui a du gaz en quantité pourrait être notre fournisseur. Nous avons évoqué la possibilité au Bénin d’installer une plateforme de stockage de gaz liquide pour permettre à nos centrales d’avoir accès à ce combustible, bon marché. Cette plateforme au Bénin va se faire parce que nous avons un programme à court terme. Si cela se faisait, le Bénin pourrait avoir du gaz. Nous allons nous atteler à rendre ce projet viable dans les tout prochains mois.
Pour finir, nous avons évoqué la redynamisation du projet commun qui lit le Bénin, le Togo, le Ghana et le Nigéria du côté de la zone de la co-prospérité. C’est un programme de proximité qu’il convient de redynamiser. Le Nigéria a évoqué sa volonté d’œuvrer à ce que cela soit une réalité dans les prochains jours de sorte que cette communauté que nous voulons créer entre ces quatre pays traduise réellement la volonté de leurs gouverneurs de voir les problèmes des uns et des autres pour que la motion de prospérité soit bien partagée. En conclusion, je peux dire que quelques heures peuvent suffire à dire des choses à faire, à concrétiser des relations qui sont fraternelles entre les deux Nations.
. LES SECTEURS D’ACTIVITÉS LES PLUS TOUCHES AU BÉNIN
La crise économique qui frappe cruellement le Bénin suite à la dépréciation du coût de la monnaie nigériane (Naïra) met en difficulté plusieurs secteurs d’activités commerciales. Ses conséquences au plan social ne sont plus à démontrer.
La trop dépendance de l’économie béninoise à celle du Nigéria est en train d’avoir assez de répercussions sur les populations. Plusieurs activités commerciales en souffrent énormément en raison de la chute de la valeur du Naïra (monnaie nigériane) par rapport au franc Cfa. Il faut jusqu’à nouvel ordre une forte quantité de Naïra pour venir acheter au Bénin. Donc, des commerçants nigérians ne sont plus dans la triste obligation de venir mener leurs activités commerciales au Bénin, parce qu’il leur faut pratiquement le double de leurs avoirs d’entre temps pour se tirer d’affaire aujourd’hui. En termes clairs, il n’est plus profitable aux opérateurs économiques nigérians de venir s’approvisionner ici. Le Bénin étant un pays d’importantes marchandises importées sont réexportées vers le Nigéria doit en souffrir. Le secteur des véhicules d’occasion est le plus touché. Selon les acteurs de la filière, la vente est passée de 30000 véhicules par mois à moins de 6000 aujourd’hui. Les conséquences de la baisse drastique de la vente sont diverses et variées. Importateurs, gestionnaires de parcs, transitaires, démarcheurs et autres se retrouvent pratiquement au chômage. L’économie nationale aussi en fait des frais, car l’Etat et les Communes perdent une grande partie des taxes et redevances. C’est le cas de la mairie de Sèmè-Podji qui a connu une baisse dans la mobilisation des ressources propres à cause de la crise dans la filière des véhicules où elle attirait de forts revenus à travers des taxes. Cette crise se sent également dans la socio-économique, en ce sens que les victimes n’ont plus les moyens financiers pour mener convenablement leur vie. En dehors des véhicules d’occasion, la situation sulfureuse dans le secteur du textile. Au marché Missèbo, la vente de la friperie a connu une grande chute. Les bonnes dames en provenance du Nigéria qui achetaient la grande partie des produits de la friperie ne viennent plus. Les tissus tels que Lessi, Hitarget, Wass hollandais qui sont réexportés sur le Nigéria ne trouvent plus preneurs. « Mes clients ne viennent plus à cause du Naïra. Il faut que le Gouvernement du Président Patrice Talon fasse quelque chose pour nous sauver… », se désole maman Ro, une commerçante très populaire au marché Missèbo. De la même manière, les produits alimentaires en l’occurrence les volailles qui inondent le Nigéria par le Bénin ne se vendent plus. Selon les informations, plusieurs sociétés d’importation de produits congelés souffrent actuellement le chaud et le froid. A l’inverse, ce sont les produits nigérians, désormais moins chers, qui inondent le marché béninois. C’est le cas de la bière Goldberg qui défie les produits de la Société béninoise de brasserie (Sobebra) dans les buvettes. Cela ne restera pas sans conséquences sur les recettes de la Sobebra qui paie des taxes à l’Etat et emploie des Béninois. Au total, le secteur commercial béninois est asphyxié par la dépréciation du Naïra avec des conséquences sur les populations béninoises.
Autres raisons de la morosité
D’autres raisons expliqueraient la morosité économique au Bénin. Dans les milieux économiques béninois, le blocage des paiements des prestations par l’actuel ministre de l’Economie et des finances, Romuald Wadagni, est vivement décrié. Des opérateurs économiques n’ont plus les moyens de tourner leurs activités. A cet effet, beaucoup d’entreprises tournent au ralenti à cause de cette mesure dudit ministre. Même, les contrats avec la presse nationale sont suspendus. Tout est bloqué dans le pays et tout le monde se contente de dire que l’argent ne circule pas. Le peuple souffre aujourd’hui plus qu’hier. C’est pourquoi, les uns et les autres invitent le Gouvernement à revoir sa copie en revoyant à la baisse ses taxes, afin d’attirer les hommes d’affaires étrangers à l’instar du Togo. Face à cette situation, si rien n’est fait pour corriger le tir, la crise sociale risque de s’empirer.