Dr Albert Hounou a des ambitions pour la santé des populations béninoises
Médecin généraliste à Burlats, France où il travaille en libéral depuis 27 ans après des études à la faculté de médecine de Bordeaux, le Béninois Dr Albert Hounou , au cours d’une récente descente dans son pays natal, a examiné la situation sanitaire du département du Couffo au Bénin et s’active à ouvrir un centre sanitaire multidimensionnel avec le concours de l’Amicale sanitaire franco-béninoise (ASFB) dont il est le président.
Docteur Hounou. Vous êtes président de l’Amicale sanitaire franco-béninoise (ASFB). Parlez-nous de cette organisation que vous dirigez.
L’amicale sanitaire franco-béninoise a été créée avec des amis français pour apporter au Bénin notre contribution pour l’amélioration de la santé des populations. Nous avons choisi de créer Tolado, un centre de santé à Dogbo avec des unités d’urologie, de cardiologie et de diabétologie qui complèteront la maternité et la médecine générale interne.
Pourquoi le choix de Dogbo pour abriter ce centre?
C’est cette commune qui nous avait inspiré en 2014 quand nous avions parcouru les villages et fait des consultations sous des arbres. Nous avions été marqués par l’extrême dénuement de la population et le manque criard d’infrastructures sanitaires. J’ai trouvé que la situation sanitaire est désastreuse et je pense que l’on peut contribuer à l’améliorer. Je dis bien désastreuse parce que le taux de mortalité infantile est très élevé et l’espérance de vie tourne autour de 50 ans contre 70 ans, il y a une trentaine d’années. Alors que dans les pays développés, l’espérance de vie grimpe jusqu’à 85 voire 86 ans dans certains cas. Nous avons pris la voie inverse et en tant que président de l’amicale sanitaire franco-béninoise, je ne peux qu’être interpellé par cette sinistre situation. Les communes sœurs de Toviklin et Lalo étant dans une situation analogue, nous avions décidé d’implanter le centre de santé à Dogbo, et c’est pour cette raison que le nom TOLADO a été choisi en référence à Toviklin, Lalo, Dogbo.
Comment entrevoyez-vous ce centre dont vous parlez ?
Tolado aura une vocation nationale, voire plus. C’est notre ambition ! Ce sera le « Tanguiéta » du sud-Bénin.
En avez-vous les moyens ?
Nous nous battons pour cela. Et les difficultés nous stimulent. Quand les images des murs du centre naissant sont parvenues en France, nous avons eu beaucoup de volontaires et de dons. Le personnel sera franco-béninois.
Quelle sera la particularité de Tolado ?
Je viens de faire allusion à Tanguiéta. Si vous connaissez la qualité des soins de ce centre, vous pouvez deviner ce que nous entendons faire. C’est aussi une revanche sur l’Histoire puisque Dogbo était un peu comme Tanguiéta dans les années 1970, avec un pôle de soins attirant les malades depuis Lomé, Cotonou et même Lagos.
Tolado est-il le seul projet de l’ASFB pour le Bénin ?
Notre rêve est de transformer Tolado en une école de formation aux métiers de la santé (puéricultrices, infirmières, sages-femmes, etc). Nous nous battrons aussi pour convaincre les laboratoires pharmaceutiques de venir installer des unités de production au Bénin. Il y a un très vaste marché à couvrir : Bénin, Togo, Niger, Nigéria, Burkina, qui les attend. Ce sera aussi un moyen de lutter contre les faux médicaments très dangereux.
A quand l’ouverture de Tolado ?
Ce ne sera pas un hôpital clé en main. Nous débuterons par la maternité et la médecine générale interne. Les services de spécialités pointues viendront ensuite. Nous espérons ouvrir en février 2018. Une coopération avec le centre allemand de Gohomey, dans la commune voisine de Djakotomey est déjà discutée.
Etant donné que l’ASFB est une association humanitaire, les soins seront-ils gratuits ?
Non ! Mais il y aura une prise en charge pour les petits orphelins et les handicapés.
Qu’en sera-t-il des médicaments ?
La qualité a un prix. C’est une question de vie. Tolado proposera aussi une mutuelle dite « Agbégbè » (en langue Adja) par opposition à « Ecougbè » ou tontine de la mort. Dans le Couffo et ailleurs dans tout le pays, on a tendance à dépenser plus pour les morts que pour les vivants. Nous voulons inverser cette tendance en proposant Agbégbè ou tontine de la vie. Les souscripteurs auront une réduction conséquente de leur frais de soins.
En dehors de la santé, vous vous intéressez à la vie politique de votre pays et les élections législatives de 2015 vous ont particulièrement marqué. Pourquoi ?
Depuis toujours je consacrais mes temps libres pour des consultations gratuites dans les villages. Mais j’aime la politique, quand elle est vraiment ouverte, donnant à chacun la possibilité de s’exprimer et d’agir en toute liberté pour le bien de la population et non pour la persécution, la domination ou l’enrichissement personnel sur le dos des masses populaires.
Les élections législatives de 2015 m’avaient brutalement confronté aux dures réalités du terrain puisqu’il fallait écouter, analyser et satisfaire les doléances des populations. Et là, je découvris que le malaise et la souffrance étaient plus profonds que je l’avais imaginé. J’ai découvert un monde qui n’est pas forcément le mien. Ces élections m’ont fait découvrir des pratiques pas recommandables et un mercantilisme qui minent la politique dans notre pays. Avec cette première expérience, je suis devenu plus aguerri et plus décidé à me battre pour le bonheur des populations de notre pays.
Vous vivez en France. Suivez-vous l’actualité du Bénin ?
Bien entendu, je suis les informations béninoises quotidiennement. Je m’intéresse à tous les sujets, même les plus insignifiants en apparence. J’ai le Bénin dans la peau, une journée sans nouvelles du Bénin est une journée sans boire de l’eau : impossible !
Alors, avez-vous noté des changements depuis l’arrivée de Monsieur Talon à la tête de l’Etat ?
Forcément ! Surtout des décisions courageuses comme l’annulation des concours frauduleux dans la douane et dans l’administration entre autres. Comparaison n’est pas raison, mais la différence avec l’ancien régime est saisissante. Tout n’est pas parfait mais je trouve ce début pas mal, même si des réserves et des interrogations sont légitimes au sujet de la privatisation de certaines sociétés et entreprises. Toutefois, je résume en ceci : Monsieur Talon a la possibilité de devenir un « petit » Mandela, ou un type comme Jammeh Yahya.
Vous pouvez être plus précis ?
Il a tous les moyens et le temps nécessaire pour inscrire son nom dans l’Histoire en tant que Chef d’Etat comme le continent en regorge, ou en tant qu’homme d’Etat.
Quelle différence faites-vous entre un chef et un homme d’Etat ?
Selon moi, un homme d’Etat se définit par la façon dont il est venu au pouvoir, la manière dont il l’a exercé et la façon dont il l’a quitté. S’y ajoute sa volonté farouche et indiscutable de la défense de l’intérêt général et non de celui de sa personne et d’un clan. Un chef d’Etat est l’inverse. Elu ou non, il devient un problème pour son pays, par sa gestion des affaires politiques, économiques et socio-culturelles, du non-respect de la liberté de ses concitoyens et des institutions. Tout ce que je dis est bien sûr subjectif mais je maintiens que notre continent a eu plus de 650 chefs d’Etat depuis les temps post-coloniaux mais très peu d’hommes d’Etat.
Qui citerez-vous comme homme d’Etat ?
Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Julius Nyéréré de la Tanzanie, le plus illustre étant Nelson Mandela. Cette liste n’est pas exhaustive mais, comme décrypté, le titre d’homme d’Etat ne peut s’appliquer à la majorité des Présidents de la République qui ne sont que de ténébreux avatars de l’Histoire de leur pays.
Si vous aviez un conseil à donner au Président Talon, quel serait-il ?
Je lui conseillerai de s’inspirer tous les jours de Nelson Mandela, d’œuvrer pour le salut général et non pour ses propres intérêts et ceux de son clan. Il entrera alors dans l’Histoire et pourra prétendre à de beaux rôles internationaux plus tard.
Et vous ? Vous voulez devenir un homme d’Etat ?
(Rire) : Pourquoi pas ? Plus sérieusement, je veux que l’Afrique ait de plus en plus d’hommes de grande vision et de bonnes ambitions car malgré les grandes mutations positives, nous restons à la traîne du développement sur l’échiquier mondial.
Plus concrètement, que voulez-vous faire ?
Continuer ce que j’ai entamé, participer aux débats, mais surtout agir, car ce sont les actions et non les discours qu’il nous faut. Je compte, à la faveur de ma retraite professionnelle qui me tend les bras, être plus présent sur le terrain et participer à la vie quotidienne.