Vue partielle de l'Ecole I. P School au bord d'une ruelle
L'une des questions les plus préoccupantes dans le système éducatif béninois aujourd'hui, reste le non-respect du cadre normatif dans les écoles en particulier les primaires privées. La situation à Bohicon dans le département du Zou constitue une équation à plusieurs inconnues.
Le constat est alarmant! Plusieurs écoles primaires privées de Bohicon à l'instar de celles des autres communes du Bénin sont loin du respect des normes du cadre de travail en milieu scolaire. Pour le Directeur départemental de l'enseignement maternel et primaire Ddemp/Zou, Chellon Pierre Hounkandji, les textes pris par le gouvernement et qui régissent le secteur privé de l'enseignement au Bénin, figurent en bonne place la loi n°2003-17 du 11 novembre 2003 portant orientation de l'Education nationale. Et que ce cadre institutionnel et réglementaire est complété notamment par le décret n°2007-279 du 16 juin 2007, portant conditions de création, d'extension et de fonctionnement d'un établissement d'enseignement privé et procédures administratives. Le Ddemp/Zou ajoute que les articles 11, 15 et 16 dudit décret en renseignent mieux sur le respect des normes dans les écoles privées mais dans la pratique, la réalité est tout autre. Il résume ces dispositions en ces termes: «Qui dit cadre normatif dit les règles, les principes regroupant plusieurs aspects à savoir : enseignants qualifiés, cadre de travail et bien d'autres. Une salle de classe devrait mesurer 9 mètres sur 7. Leurs ouvertures doivent permettre la circulation facile de l'air, le tableau également doit être peint en noir ». Toujours dans ce registre, il martèle qu'il faut aussi l'autorisation de diriger pour le promoteur, l'autorisation d'enseigner pour les enseignants, des infrastructures sportives pour les niveaux 1 et 2 et un ratio enseignants-élèves conformément à celui retenu par le Memp, qui est de 45 élèves par enseignant. C'est alors qu'il évoque les cas des communes de Zakpota où le besoin est de 200 enseignants et plus de 200 à Djidja. Le premier responsable de l'enseignement primaire du département du Zou a de plus déploré le fait qu'un Conseiller pédagogique ait à sa charge plus de 800 ou 1000 enseignants et un Inspecteur pour 2 circonscriptions scolaires.
Pascal Bah, parent d'élève constate: «Des écoles privées poussent telles des champignons au Bénin dont à Bohicon où la mise en application des normes peine encore. Pour soutenir cette assertion, François Agbodji, Chef région Pédagogique 42 (Crp) des communes de Bohicon et de Zogbodomey, confie qu'il y a plus d'écoles privées que publiques. « Nous avons 102 écoles primaires publiques et plusieurs écoles privées dont nous ne maîtrisons pas leur nombre exact. Car, il y en a beaucoup qui fonctionnent dans la clandestinité et ne respectant aucun principe en la matière», a-t-il expliqué. C'est le cas selon lui, des 05 écoles privées, qui ont récemment été fermées dans la commune de Bohicon sur les 10 du département. Ces dérives observées dans ce sous-secteur sont perçues comme une mauvaise fois des responsables d'établissement par un membre du Patronat des établissements privés. Celui-ci estime qu'il s'agit d'un manque de volonté de la part de certains promoteurs. « C'est de l'affairisme, l'un des sports favoris communs à tous les ‘'Béninois''. On peut s'arranger avec ses relations pour implanter une école privée même si le cadre n'est pas propice. C'est de l'arnaque simplement», ajoute-t-il.
Scandale de l'invisibilité!
Parlant de non-respect du cadre normatif, beaucoup d'établissements primaires privés de Bohicon tuent à petit coup des générations, malgré les efforts des partenaires et du gouvernement. Monsieur Isidore A. B, un octogénaire, Conseiller pédagogique à la retraite faisant office du Directeur d'une école privée de Bohicon et son équipe confirment comment son école brille en l'espèce. «Chez nous ici à l'Ecole I. P. School, c'est compliqué. Nous sommes trois enseignants ici au lieu de six car nous avons les classes CI au CM2. Chaque enseignant a sous lui deux classes. Nous n'avons rien pour faire face aux charges de l'école, en dépit des efforts du fondé. Outre l'absence criarde du minimum pour le respect des normes, notons que le salaire n'y est pas la priorité. «Même si nous trouvons 2 ou 5000F, on prend d'abord comme salaire. Pour ce qui concerne les matériels didactiques, on s'arrange avec quelques documents et on fait avec. Réelle chambre salon et chaudière, cette école opère dans la clandestinité depuis trois ans. Pour Bénédicte L., institutrice des classes de CE1-CE2 de la même école, tout est à reprendre ici. « A vrai dire, tout est problème ici», a-t-elle lancé. Son collègue de CI-CP, Wilfrid L. soutient que son autorisation d'enseigner est en cours. «Rien n'attire l'attention que c'est une école, si vous êtes de passage dans la zone. Regardez-vous-même, elle n'a ni enseigne ni clôture. Il n'y a que trois feuilles de tôles déchirées plantées qui symbolisent la clôture. Vraiment, C'est un crime», se désole Franck G., un usager du quartier où est érigée l'école.
Préoccupé de la situation, le Ddemp rassure que les missions de contrôles et de suivis se poursuivront davantage pour décourager ces promoteurs indélicats. « Ne perdez pas de vue le coté social de la chose », a-t-il dit. Ce qui se passe dans les écoles est ahurissant. Beaucoup de défis sont à relever et concernent tous les acteurs », s'est-t-il scandalisé avant d'exhorter tous les acteurs à accompagner le gouvernement dans sa volonté d'assainir le secteur.
Des efforts notés
Si des établissements comme Ecole I. P. School et autres devraient être poursuivies pour crime, selon Chellon Pierre Hounkandji, il y en a qui tendent vers les normes. C'est pourquoi, il avoue tout de même que les écoles privées n'ont pas les meilleurs enseignants de diplômes professionnels les plus chevronnés mais beaucoup font l'effort pour le respect des normes et donnent de bons résultats. Ainsi, mardi 26 mars matin dernier, nous sommes au portail principal d'une école à Sèmè à Bohicon. Il s'agit du ''Complexe scolaire Les A.'', situé dans une ruelle à quelques 200 mètres du Ceg 1 de la localité. Au mur de la clôture badigeonné en orange, est griffé de la gauche vers la droite "Secondaire, Primaire et Maternelle''. Juste à l'entrée à droite, se trouve l'air du jeu des apprenants de la Maternelle. Il fait corps à la cour de la recréation et le bâtiment abritant ladite session et les classes de CI-A, CP et CE1, derrière lequel se trouve un module de 9 toilettes et une douche sanitaire pour la maternelle. A gauche, un appâtâmes où vendent les bonnes dames. Plus loin, à l'extrême gauche de l'école, un autre module de classe qui abrite la Classe de CI-B, et le secondaire. Au milieu de la cour, d'environ un carré et demi de dimension, se trouvent le mât en fer sans drapeau, des manguiers et orangers. Un peu devant au fond, un autre bâtiment abritant les écoliers de CE2, CM1, CM2 et la Direction, où notre équipe a été reçue par un instituteur de CM2, en uniforme griffée du logo de l'école. Celui-ci nous conduit chez son collègue aîné de CI-A, Faustin Yétondé, représentant le Directeur. Ce dernier décrit: « Nous avons ici un bon cadre que les parents d'élèves et autres apprécient bien. Pour preuve, nous enregistrons chaque année un effectif considérable. Ce qui justifie les deux classes de CI-A et CI-B de cette année». Il est soutenu par son collègue du CM2.
Pour les normes, il a également reconnu que, dans le Zou en général et à Bohicon en particulier, beaucoup restent à faire, mais son école est sur la bonne voie. Il dira donc que l'effectif des élèves est plus de 300 dont environ 45 par classe et que les résultats sont toujours bons chaque année. Toute chose confirmant le ratio exigé par le Memp. M. Faustin Yétondé, soixantaine rassure: « Il y a des choses qui nous manquent. Mais le fondé de l'école est toujours à pied d'oeuvre. Il nous faut un lieu de loisir et un lieu de cantine».
Pour ce qui concerne les visites d'inspections et autres missions de contrôles, il reconnait: «En matière d'enseignement, sans vous mentir, personne n'est au complet du bagage intellectuel. Donc, de temps en temps, nous recevons les conseillers pédagogiques et les inspecteurs. Ils trouvent toujours à dire. Mais chez nous, beaucoup de choses sont respectées.
10H 15minutes, c'est la récréation, Molière Ahouangan, 9 ans élève au CM2 a confirmé qu'il y est plus à l'aise depuis sa maternelle, avec les salles de cours bien espacées. «Je suis content, car nos maîtres sont gentils avec nous. Avec le cadre, mes amis et moi, on s'amuse bien et les maîtres nous expliquent bien les leçons», a-t-il témoigné. 10H 30 minutes. Les cours reprennent. Sérénité bonne ambiance sont notées dans les classes parcourues où ont été constatés les efforts de cette école en matière du respect des normes.
Respecter les normes pour sauver l'avenir !
Pour que les élèves apprennent, assimilent mieux et soient la relève de qualité, il s'avère impérieux d'améliorer les infrastructures scolaires et respecter les normes en vigueur. Les infrastructures, bâtiments, salles de classe, laboratoires et équipements, la qualité des enseignants constituent des éléments essentiels à l'apprentissage dans les établissements scolaires et universitaires. C'est dans cette logique que Maurice Kpossi, Inspecteur du premier degré à la retraite, trouve : « Il existe de fortes preuves qu'une infrastructure de haute qualité facilite un meilleur enseignement, renforce les acquis scolaires et réduit l'abandon… entre autres». Il renchérit que la façon dont une infrastructure scolaire est conçue a un effet sur les processus d'apprentissage en fonction de trois caractéristiques. Elle doit être, dit-il, naturelle (luminosité et qualité de l'air), stimulante (couleurs et complexité), et individualisée (flexibilité des espaces d'apprentissage). «Quoique les décideurs du secteur éducatif se concentrent de plus en plus sur la qualité de l'éducation et donc sur l'environnement scolaire, beaucoup de pays emploient encore une approche fragmentée dans les décisions concernant l'infrastructure scolaire. C'est de la tricherie », a déploré Maurice Kpossi.
Il est donc clair que le département du Zou en particulier la commune de Bohicon a encore du chemin à faire en matière du respect des normes, pour sauver l'école béninoise de l'ornière.
Enquête réalisée par Antonin HOUNGBADJI